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Dictionnaire Politique d'Histoire de la Santé

Allumettier.ère.s

À compter des années 1830, les allumettières et les allumettiers sont confrontés à de nombreux risques liés au travail.Différentes étapes de la fabrication d’allumettes par C.A. Keetles. « How matches are made », Harper's Weekly, 22 juin 1878, p. 488

   À compter des années 1830, les allumettières et les allumettiers sont confrontés à de nombreux risques liés au travail.

 

    Des premières décennies du XIXe siècle jusqu’au début du XXe siècle, le travail à l’allumière engendre un grand nombre de risques pour les milliers d’hommes, de femmes et d’enfants qui y œuvrent. Ceux qui s’affairent à couper les morceaux de bois, mélanger la pâte inflammable, tremper et sécher les allumettes ou les mettre en boîtes sont confrontés à plusieurs dangers. Alors que les incendies et les brûlures sont omniprésents, les vapeurs toxiques imbibent l’air des manufactures. 

 

    Dès les années 1860, la fabrication d’allumettes fait l’objet d’enquêtes, certaines étant menées indépendamment par des spécialistes de la santé, d’autres étant commandées par les États. Sujet de nombreuses inquiétudes, cette industrie est identifiée comme insalubre par différents pays et se voit concernée par des lois spéciales concernant les lieux de travail dangereux. Plus encore, les fabricants doivent se soumettre aux visites d’inspecteurs d’État ayant pour mission d’assurer la bonne mise en application des mesures visant l’industrie, mais également de la sécurité du milieu de travail pour les employés. De plus, une surveillance de l’aptitude au travail des employés est mise en place, certifiant, en principe, l’absence de jeunes enfants et d’ouvriers ne répondant pas aux exigences de santé. Malgré tout, cette initiative des gouvernements et des entreprises est une réussite partielle. Les allumettiers et les allumettières demeurent confrontés à un emploi dangereux pour leur santé en échange d’un maigre salaire. 

 

    Le danger le plus courant dans les allumières s’avère les incendies, source de brûlures et d’irritations respiratoires. Pour les empaqueteuses, les risques de blessures par le feu s’accroissent en raison de leur manipulation constante des bouts de bois et de la rapidité exigée dans leur travail. Souvent, elles n’ont qu’une éponge humide ou un seau d’eau pour arrêter le brasier. Les inspections ainsi que l’ajout, volontaire ou non, de systèmes de gicleurs par les employeurs améliorent la situation sans pour autant résoudre définitivement le problème.  

 

    Plusieurs accidents surviennent dans les manufactures, un phénomène accentué par la mécanisation. Dans la confection d’allumettes, comme ailleurs, la machinerie devient une source de danger, notamment pour les enfants. S’ajoute ensuite la fumée et la vapeur qui vicient l’air des pièces et engendrent de nombreuses difficultés respiratoires et des intoxications. Omniprésentes dans la fabrique, les émanations de soufre, d’ammoniac, d’antimoine et de différentes colles toxiques se répandent dans chaque recoin de la fabrique malgré les systèmes de ventilation les plus modernes. Parmi les éléments chimiques affectant la santé des travailleurs, le phosphore blanc se révèle être le plus ravageur. Ce poison peu coûteux, notamment utilisé dans la mort-aux-rats, permet l’ignition d’allumettes grâce à un simple frottement contre une quelconque surface rugueuse. Ses vapeurs et son ingestion sont responsables de deux maladies : le phosphorisme et la nécrose maxillaire

 

    Observés pour la première fois en 1839, les impacts de cette substance sur les employés sont souvent graves, ruinant leur santé et les défigurant, causant même parfois la mort du malade. Dans les décennies qui suivent, d’autres spécialistes de la santé s’intéressent aux effets du phosphore sur les travailleurs et la population générale. En plus des enfants victimes de malaise après avoir ingérés le bout d’une ou de plusieurs allumettes, certains soupçonnent ces dernières d’être la cause de plusieurs suicides, homicides, et même d’avortements. 

 

    Déjà en 1846, des lois sont édictées un peu partout dans le monde germanique, puis dans le reste de l’Europe et en Amérique du Nord afin de réduire les conséquences sur la santé des hommes et des femmes. Une trentaine d’années plus tard, l’interdiction totale de l’utilisation du phosphore blanc dans la production d’allumettes est mise en place en Finlande avant que d’autres pays ne fassent de même. Principalement au tournant du siècle, le travail de médecins, de réformateurs et de certains politiciens plus sensibles à la cause des travailleurs permet l’éradication progressive de la substance néfaste.   


    La gestion du risque dans les manufactures d’allumettes impacte différemment les hommes et les femmes qui y travaillent, soit par les lois et les réglementations ou même par la voie des inspections. Par souci d’encadrement du travail des femmes, plusieurs mesures protectrices et clauses spéciales dans les lois sur les manufactures devaient les rendre moins vulnérables aux risques. Similairement à celle des enfants, leur santé était perçue comme plus fragile que celle de leurs collègues masculins. Ceci encourage leur concentration dans la tâche considérée comme la moins difficile physiquement et la plus sécuritaire, loin des couteaux à bois et des bains chimiques. Chez les hommes, des rotations sont imposées dans plusieurs manufactures pour limiter leurs expositions aux vapeurs toxiques. Pourtant, il n’en demeure pas moins que les femmes sont, dans bien des cas, surreprésentées parmi les victimes du phosphore blanc et que les blessures encourues en raison de leur métier demeurent non couvertes par les lois sur les accidents industriels.

 

Prolonger la lecture sur le dictionnaire : Phosphorisme - Silicose

Kathleen Durocher - doctorante en histoire - UQAM

Références :

P.W.J. Bartrip, The Home Office and the dangerous trades : regulating occupational disease in Victorian and Edwardian Britain. New York, Clio Med, 2002.

Kathleen Durocher, Pour sortir les allumettières de l’ombre : conditions de travail et de vie des allumettières de la E.B. Eddy de Hull, 1954-1929. Thèse de maîtrise, Université d’Ottawa, 2019.

Pour citer cet article : Kathleen Durocher, "Allumetier.ère.s", dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2021.

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