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Dictionnaire Politique d'Histoire de la Santé

Attrape-rêve

histoire du rêve. Il existe des politiques du rêve comme l'illustrent les différentes manières d'appréhender les songes des populations amérindiennes.Dreamcatcher (Créé autour de 1930-1935) – Issu de la collection personnelle de Paul Coze, ancien fonds Musée de l’Homme, coll. du Quai Branly.Il existe des politiques du rêve comme l'illustrent les différentes manières d'appréhender les songes des populations amérindiennes.

 

   On le trouve partout outre-Atlantique : dans les stations-service autoroutières, au milieu d’autres breloques dans les boutiques de la Mecque du new age à Sedona en Arizona, dans les établissements scolaires marqués par de tragiques fusillades meurtrières, comme à Columbine… 

 

   L’attrape-rêve - ou dreamcatcher en version anglaise – est à l’origine un artefact protecteur Ojibway. Il existe relativement peu de littérature scientifique à son sujet, à l’exception des mentions faites par l’ethnomusicologue Frances Densmore dans son ouvrage Chippewa Customs, publié pour la première fois en 1929. L’attrape-rêve est un petit cerceau qui contient un tissage reproduisant le motif de la toile d’araignée. Il était autrefois confectionné à l’aide de tiges d’orties qui étaient colorées en rouge avec la sève de la plante sanguinaire du Canada ou l’écorce du prunier rouge américain. Au cours de ses déplacements dans 6 réserves du Minnesota, du Wisconsin et de la province de l’Ontario au Canada, Densmore a constaté la présence de nombreux attrape-rêves au-dessus des porte-bébés (cradleboards) autochtones. Leur objectif était de retenir les cauchemars et de laisser la voie libre aux rêves plaisants et bénéfiques pour les enfants. 

 

   Dès la fin des années 1960, de nombreuses variantes (en saule, en métal) de l’objet protecteur sont commercialisées. La diffusion de ce symbole à l’extérieur des populations Ojibway – à l’instar du développement de la danse du Soleil hors des Tribus des Plaines - a parfois été interprétée comme l’expression de l’émergence d’un mouvement panindien. Néanmoins, l’appropriation culturelle de ce symbole par des non-Amérindiens continue de poser la question de la traduction des rêves autochtones et de leur dimension universaliste potentielle.

 

   Pour les Peuples Premiers, le rêve est aussi réel que la réalité, son contenu ne saurait donc être médiatisé par une quelconque grille de lecture. Pourtant, les premières transcriptions de rêves amérindiens témoignent de la nécessité pour le chercheur de se munir d’outils conceptuels pour les catégoriser. Avec son ouvrage The Dream in Primitive Cultures (1935), l’anthropologue Jackson Stewart Lincoln crée la catégorie de « culture pattern dream » ou rêve qui revêt une signification tribale particulière. Cette approche culturaliste vise à faire émerger à l’intérieur de rêves individuels des schémas ou patterns qui informent sur la place de l’individu dans l’organisation sociale et spirituelle de la tribu. 

 

   Ces écrits renseignent sur la relation de causalité entre désordre physique et psychologique et rencontre - réelle ou rêvée - avec des éléments naturels (plantes, phénomènes météorologiques, roches, animaux…) Ils montrent aussi qu’un même contenu revêt différentes significations en fonction de l’appartenance à un groupe tribal donné. Ainsi, l’anthropologue Clyde Kluckhohn relève-t-il dans le livre The Navahos (1948) le caractère prémonitoire funeste associé aux rêves de personnes décédées qui entraîne bien souvent la destruction du hogan (habitation traditionnelle) dans lequel le rêveur a cauchemardé. D’après Dorothy Way Eggan, qui a réuni un corpus de 600 rêves relatés par des informateurs Hopis – au nombre desquels on compte le chef Don Talayesva, célèbre pour son autobiographie Soleil Hopi (Plon, 1959) – c’est rêver de la racine de yucca qui préfigure un décès. Serpents et maladies vénériennes sont également associés et pour être conjuré, un cauchemar doit être raconté, même s’il faut pour cela tirer du lit un interlocuteur au beau milieu de la nuit. A la fin de son récit, le rêveur devra immédiatement quitter sa demeure et cracher 4 fois. 

 

   L’ouvrage Psychothérapie d'un Indien des Plaines (New York, 1951) de Georges Devereux, considéré comme la pierre angulaire de l’ethnopsychanalyse, s’inscrit lui pleinement dans une cure psychanalytique menée dans un environnement clinique, au Winter Veterans Hospital de Topeka au Kansas. Georges Devereux y fait ses premières armes en tant que psychanalyste grâce à sa rencontre avec Jimmy Picard, vétéran Blackfoot atteint de névrose traumatique suite à sa participation au conflit armé de la seconde guerre mondiale. Devereux insiste sur la nécessité de comprendre la culture de l’analysé. Son œuvre est exempte des remarques ethnocentristes condescendantes qui irriguaient par exemple certaines publications plus anciennes comme l’article de William Morgan, publié en 1932. Les rêves où apparaissaient des Yeis, êtres sacrés navajos, étaient relégués au rang de superstitions, et le rêveur, un shaman respecté, était qualifié d’infantile. Pourtant, malgré cette ouverture d’esprit salutaire, les rêves nord-amérindiens restent souvent appréhendés à l’aune d’une grille occidentale. Il reste peut-être à expérimenter, ce que Tobasonakwut Kinew, universitaire et sage Anichinabé, préconise : « Cherchez votre rêve, vivez votre rêve, comprenez votre rêve et avancez avec votre rêve. »

 

Prolonger la lecture sur le dictionnaire :Neurodiversité- Coprolalie- Spiritisme

Nausica Zaballos

Références :

Frances Densmore, Chippewa Customs. U.S. Government Printing Office, 1929. (Reprint, Minnesota Historical Society Press, 1979).

Dorothy Way Eggan“The Significance of Dreams for Anthropological Research.” American Anthropologist, 1949, vol. 51, pp. 177–198.

Pour citer cet article : Nausica Zaballos, "Attrape-rêve" dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans université, 2021. 

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