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Dictionnaire Politique d'Histoire de la Santé

Buveurs de sang

Au XIXe siècle, une foule anémiée se presse dans les abattoirs pour y consommer le sang des animaux sacrifiés et s'affranchit de l'assentiment de la médecine officielle.«Aux abattoirs, Les sacrificateurs israélites et les buveurs de sang», d'après nature par Louis Bombled, Le Monde illustré, mars 1890. Au XIXe siècle, une foule anémiée se presse dans les abattoirs pour y consommer le sang des animaux sacrifiés et s'affranchit de l'assentiment de la médecine officielle.



La consommation de sang animal fait l'objet d'une véritable mode thérapeutique dans la deuxième moitié du XIXe siècle. Les buveurs de sang des abattoirs permettent de mettre en évidence une pratique de soin, partie prenante d'un imaginaire populaire et en quelque sorte libérée de l'intermédiaire et de l'encadrement des sphères médicales, dont l'autorité s'est renforcée au cours du siècle. 

 

Les vertus du sang animal suscitent un grand intérêt pour la pharmacopée. Ce regain de popularité est étroitement lié aux progrès des connaissances scientifiques concernant le sang, notamment la découverte de l'hémoglobine et de sa richesse en fer en 1864. Il est ainsi principalement utilisé pour combattre l'anémie. Mais l'engouement pour le sang animal dépasse largement le cadre érudit et scientifique des sphères pharmaceutiques et médicales, et cela s'illustre par une pratique de soin populaire qui prend place dans les  abattoirs des villes. 

 

Chaque matin, une foule principalement féminine accompagnée d'enfants, mais issue de couches sociales particulièrement variées, se rend auprès des sacrificateurs israélites afin de boire le sang frais des animaux sacrifiés, l'abattage rituel permettant seul de recueillir assez de sang nécessaire à cette méthode de soin. Rares sont ceux qui suivent une prescription médicale car cette pratique suscite pour la plupart des médecins une aversion profonde et de l'indignation. L'ingestion de sang se fait principalement afin de combattre l'anémie, mais également les faiblesses du corps, parfois provoquées par les atteintes de la phtisie. Le sang écarlate et encore chaud de vie est perçu par les malades, comme capable de leur apporter la vigueur nécessaire à leur rétablissement, car l'imaginaire populaire associe fortement à ce fluide vital rouge, les vertus de la force et de la vie. L'idée d'un sang nourricier et réparateur est ainsi répandue dans les esprits. 

 

Les autorités médicales ne semblent pas partager cet imaginaire et le classent dans le domaine des croyances populaires, car bien que l'hémoglobine soit utilisée comme médicament dès 1885, le sang doit se plier à une utilisation raisonnée et contrôlée par les sciences médicales. L'utilisation du sang comme médicament doit être encadrée par le contrôle sanitaire pharmaceutique, les médecins craignent en effet que la consommation de sang aux abattoirs ne soit la cause de maladies, les animaux de boucherie étant susceptibles d'être atteints par des affections diverses qui pourraient infecter le sang tiède prisé des malades et des convalescents. Cette critique savante des buveurs de sang est révélatrice des enjeux des pratiques populaires de santé lorsqu’elles se développent en marge des tendances médicales officielles. 

 

Le XIXe siècle est présenté comme un siècle de progrès scientifiques durant lequel l'autorité médicale s'est accrue, on dit que le siècle se médicalise. C'est tout particulièrement le cas sur le plan législatif, ce qui permet un contrôle des pratiques illégales de la médecine. L'ascendant de la médecine officielle laisse également entendre un recul de la médecine populaire, ou tout du moins une diminution progressive à son recours en raison de l'encadrement plus strict des pratiques médicales. Très populaire à la fin du XIXe siècle, la consommation de sang aux abattoirs suscite l'approbation, la curiosité ou le dégoût, mais elle témoigne aussi de l'existence et surtout de la continuité de pratiques de soin qui s'affranchissent de l'encadrement et de l'assentiment de la médecine officielle. Les buveurs de sang des abattoirs qui furent principalement des buveuses de sang, contribuent à nuancer le XIXe siècle médical, et illustrent tout à fait à quel point le siècle, comme le précise Jacques Léonard dans La France médicale, témoigne de «tout un dégradé, dans les esprits et les pratiques». 

 

Prolonger la lecture sur le dictionnaire : Auto-expérimentation- Homéopathie- Spiritisme

Maeva Rafron - Le Mans Université

Références

Bruno Bonnemain, «Quand le sang et la viande étaient des médicaments», Revue d'histoire de la pharmacie, volume 91, Numéro 340, 2003, p.611-626. 

Maeva Rafron, Bestiaire médical du XIXe siècle : Les animaux dans les remèdes et les pratiques de santé, Mémoire de master, Le Mans Université, 2016.

Pour citer cet article : Maeva Rafron, "Buveurs de sang" dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2021.

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