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Dictionnaire Politique d'Histoire de la Santé

Charlatan

Dans le domaine de la santé, les charlatans ne peuvent être réduits à leur rôle de guérisseur car ils utilisent les connaissances nouvelles et les moyens les plus modernes de communication. 

 

Un des éléments les plus sûrs de l’étymologie du mot charlatan est le verbe italien ciarlare (parler pour le plaisir, bavarder en français, charlar en espagnol). Le terme devient populaire à partir des XVIe et XVIIe siècles pour désigner les individus qui, grâce à une bonne mise en scène, vendent sur les places publiques des objets divers, souvent de nature médicinale (onguents, herbes, potions magiques). Aujourd’hui en espagnol, le mot a une double acception : d’un côté il désigne l’escroc, de l’autre quelqu’un qui parle beaucoup sans avoir grand-chose à dire. 

 

   De quoi ces charlatans  parlent-ils ? Ils parlent quasiment des mêmes choses que leurs compagnons de route, les scientifiques (ou pour être plus précis les savants et les entrepreneurs du XIXe siècle que nous baptisons scientifiques). Ils réutilisent à leur manière le langage de la science et recyclent, à leurs propres fins, le prestige et l’éclat des nouveautés du champ scientifique. Grâce à leur nomadisme, à leurs discours hypnotisants et à une curiosité sans limite, ils font plus que gagner de l’argent et encombrer les archives judiciaires. Ils jouent un rôle essentiel dans la diffusion des objets (techniques ou curatifs), des théories et des phénomènes ; ils mettent les expériences et les innovations à portée de main (et des yeux) non seulement du grand public mais aussi des milieux cultivés. 

 

   En ce qui concerne l’univers de l’art de guérir, la charlatanerie mérite un commentaire spécial. Bien que de nombreuses sources du XIXe siècle (articles de presse, contributions dans les revues médicales) utilisent le mot de charlatan pour désigner presque tout guérisseur non diplômé, il est nécessaire de tracer une ligne de démarcation et de réserver cette dénomination à un secteur particulier du vaste ensemble des agents non autorisés (parmi lesquels on compte des guérisseurs quasi analphabètes, des magnétiseurs, des “saigneurs”). Nous pouvons dire qu’il y a “vraie charlatanerie” quand l’offre de moyens curatifs est accompagnée à la fois de l’ostentation (souvent dramatisée) de connaissances sophistiquées et de l’utilisation d’expositions publiques des compétences. Le “charlatan”, à la différence du guérisseur d’origine plus modeste, a l’habitude de se donner des titres un peu suspects (académiques ou nobiliaires), et tend également à avoir confiance dans ses connaissances bien acquises. Avec cela, il ne fait que ratifier - parfois non sans raison - son désir de former une communauté avec ses collègues, les scientifiques.

 

   Illustrons ces considérations par un exemple concret. Entre avril 1887 et le début de l’année suivante, d’abord à Barcelone, puis à Madrid, un médecin appelé Alberto de Das expose jusqu’à plus soif sa maestria bien rodée dans l’emploi de l’hypnotisme, une technique que ses collègues espagnols manient avec une certaine maladresse. Il donne des conférences et offre des démonstrations dans les écoles de médecine, les salons privés, les théâtres, les rédactions de journaux et jusque devant la famille royale. Au début de 1888 et pour confirmer le sérieux de ses intentions, il commence à éditer une petite revue intitulée Hipnoterapia et peu de temps après installe une académie d’hypnotisme. Tout allait bien mais en décembre 1890, il est emprisonné pour ne pas avoir réglé quelques dettes. Au cours de la procédure judiciaire, il est établi que l’inculpé n’a pas de diplôme médical (pas plus qu’il ne dispose du titre de comte). Son véritable nom apparaît. Il s’agit d'Alberto Santini Sgaluppi. Sorti de ce mauvais pas, il se convertit à la théosophie et à l’occultisme mais cela ne lui réussit pas mieux. En juillet 1892, un groupe théosophique de Barcelone prononce son expulsion pour comportements coupables. 

 

   Il s’en va alors en Amérique latine où il peut déployer tous ses talents. Entre 1892 et 1906, il réside dans les principales villes du sous-continent (Buenos Aires, Montevideo, Santiago du Chili, Lima, Mexico) et partout il a un rôle essentiel dans l’implantation des savoirs ésotériques, donnant vie à des revues et à des groupements. Dans ces villes, il fonde des instituts médicaux en général spécialisés dans la thérapie par hypnose. Dans ces pays, le faux médecin (et faux comte) réussit à être bien accepté par les médecins et les intellectuels. Dans la capitale argentine, par exemple, non seulement il crée très tôt un établissement voué à la psychologie (l’éphémère Institut psychologique argentin 1892-1893) mais il est aussi responsable de la fondation du premier rameau local du mouvement théosophique baptisé Luz (la lumière). Franc maçon, spirite, hypnotiseur, « psychologue » et théosophe, ce « charlatan » met en évidence la porosité qui existe entre les terrains de la science et ceux de l’opportunisme. 

 

Traduit de l’espagnol par Olivier Faure

 

Prolonger la lecture sur le dictionnaire : droit au soin - boîte de remèdes - homéopathie 

Mauro Vallejo - Université de Buenos Aires - CONICET

Références :

Irina Podgorny, Charlatanería y cultura científica en el siglo XIX. Vidas paralelas, Catarata, 2015.

Mauro Vallejo, El Conde de Das en Buenos Aires (1892-1893): hipnosis, teosofía y curanderismo detrás del Instituto Psicológico Argentino, Biblos, 2017. 

Pour citer cet article : Mauro Vallejo, "Charlatan", Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2021.

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