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Dictionnaire Politique d'Histoire de la Santé

Dépigmentation volontaire

La dépigmentation cosmétique volontaire présente des enjeux politiques importants car, malgré l’interdiction des produits nocifs en France, il est toujours possible de s’en procurer.“Avec Javel S.D.C. pour blanchir un nègre on ne perd pas son savon”. Affiche anonyme, éditée vers 1910 © Collection Kharbine-Tapabor. Musée de l’histoire de l’immigration.

   La dépigmentation cosmétique volontaire présente des enjeux politiques importants car, malgré l’interdiction des produits nocifs en France, il est toujours possible de s’en procurer.

 

   La dépigmentation cosmétique volontaire est définie comme l'ensemble des procédés visant à obtenir un éclaircissement de la peau sombre par l'utilisation à visée « cosmétique » de produits dépigmentants. C’est une pratique courante depuis la fin du XXe siècle dans le monde entier. En Occident, elle naît dans le monde ouvrier afro-américain au début des années 1960. Dans les usines textiles, mais aussi de caoutchouc, des ouvriers découvrent les propriétés éclaircissantes des produits à base d’hydroquinone qu’ils utilisent quotidiennement au travail. 

 

   En revanche, l’idée selon laquelle il faudrait « blanchir des noirs » ne date pas d’hier. Dès la fin du XVIIIe siècle, plusieurs techniques sont expérimentées dans certains pays occidentaux (France, Angleterre, Québec, …). En effet, quelques savants et intellectuels tentent d’éclaircir des personnes noires avec de l’eau oxygénée, de l’acide mais aussi d’autres types de détergents. Enfin, certains sont exposés à des rayons X, tandis que d’autres reçoivent le germe de l’albinisme. 

 

   Au XIXe et XXe siècles, les médias occidentaux sont friands de ces folles expériences. En 1931, George S. Schuyler écrit Black no more, un roman satirique dans lequel il raconte l’histoire de Max, un noir de Harlem qui se dépigmente la peau. Il faut aussi souligner la présence de nombreuses publicités à caractère discriminatoire en Europe. Les exemples les plus concrets sont ceux des publicités pour les lessives où l’on cherche à mettre en avant la capacité à gommer le principal défaut du noir : sa couleur de peau. Même après l’abolition de l’esclavage, les personnes les plus claires, appelées « light-skinned », sont plus valorisées et acceptées en société. Frantz Fanon définit la dépigmentation volontaire comme un moyen de se débarrasser d’une « malédiction corporelle ». Elle permet de se rapprocher d’un idéal, synonyme de réussite sociale. En revanche, dans ses travaux autour du personnage de Chocolat, Gérard Noiriel démontre que Rafael « a su faire de sa couleur de peau quelque chose de positif ».

 

   Sur le continent africain, le phénomène de dépigmentation volontaire prend de plus en plus d’importance après la Seconde Guerre mondiale. Les premiers cas apparaissent au début des années 1950, en Afrique du Sud, dans le contexte de l’Apartheid, mis en place en 1948. Des crèmes sont progressivement introduites au Congo belge, au Sénégal, en Centrafrique, etc. Les femmes naturellement plus claires séduisent les hommes et créent une nouvelle norme esthétique. Dans la majorité des cas, les motivations des utilisatrices sont les mêmes ; elles se blanchissent pour se plaire, pour séduire ou pour suivre la mode. Le phénomène est principalement féminin, mais il existe aussi de nombreux hommes qui se dépigmentent. En Afrique subsaharienne, plus de 25 % de la population se blanchit la peau. Elle fait face à un matraquage publicitaire qui renforce le diktat de la couleur blanche. Les modèles métissés sont surreprésentés et la plupart des personnalités publiques se blanchissent elles aussi.

 

   La dépigmentation volontaire présente de véritables risques sanitaires. La revue scientifique La Peaulogie y consacre son premier numéro. La plupart des produits dépigmentants sont des médicaments détournés de leur usage principal. Les plus connus sont ceux de la catégorie des dermocorticoïdes. Des produits à base d’hydroquinone sont aussi utilisés dès les années 1960. Ils ont un impact sur la production de mélanine et, utilisés en très grande quantité, détruisent l’épiderme. Les complications liées à l’hydroquinone sont nombreuses : tâches noires,  acné, infections, vergetures, mauvaises odeurs corporelles, diabète, troubles neurologiques, etc. Enfin, l’addiction est une complication probable de l’utilisation de ces produits. Néanmoins, il ne faut pas négliger l’utilisation très fréquente de produits « artisanaux » fabriqués pour la revente. Ces produits contrefaits coûtent moins cher que ceux portant la mention « sans hydroquinone » mais présentent encore plus de risques pour la santé de ses consommateurs. 

 

   En outre, les enjeux politiques autour de la pratique sont réels. Effectivement, ces produits sont mondialement commercialisés, légalement ou illégalement. Ceux qui contiennent de l’hydroquinone sont interdits dans les pays de l’Union européenne depuis 2001 mais il est toujours possible d’en trouver dans certains commerces. On compte alors de nombreuses adeptes, majoritairement en région parisienne.  Les frontières ne sont pas complètement imperméables et certains revendeurs européens parviennent à se procurer des produits provenant d’Afrique subsaharienne ou d’Asie. Le trafic lié à cette pratique est très juteux. 

 

   Il faut savoir que seule la vente de produits à base d’hydroquinone est interdite. Des laboratoires français continuent alors de fabriquer des produits pour les exporter en Afrique où la substance cancérigène est autorisée. Il est aussi évident que certains médecins sont au fait des pratiques de leurs patient.es mais ferment les yeux en continuant leurs prescriptions.

 

   Les risques liés à l’utilisation de ces produits sont souvent ignorés car les campagnes de prévention sur le sujet se font très rares. En effet, ce n’est qu’en 2009 que la mairie de Paris intervient pour la première fois en France avec une « campagne de prévention des dangers du blanchiment des peaux noires ». Depuis peu, de plus en plus de grandes enseignes et d’associations prônent la diversité et la beauté des peaux noires. 

 

Prolonger la lecture sur le dictionnaire : Bafia 1928 - Drapetomanie - Excitation politique



Elisa Vaz - Inspe Normandie Caen

Références :

Serge Bile, Blanchissez-moi tous ces nègres, Pascal Galodé éditeurs, 2010.

Antoine Petit, « La dépigmentation volontaire : tours et détours de la honte », [en ligne], Champ psy, n° 62, 2012, p. 153-164.

 

Pour citer cet article : Elisa Vaz, "Dépigmentation volontaire" dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2021.

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