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Dictionnaire Politique d'Histoire de la Santé

DSM (Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles Mentaux)

Le Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles Mentaux (DSM) est une classification nosologique qui a joué – et continue de jouer – un rôle majeur dans la structuration des soins et la recherche psychiatriques.Manuels Diagnostiques et Statistiques des Troubles Mentaux, Bonkers Institute for Nearly Genuine Research.

   Le Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles Mentaux (DSM) est une classification nosologique qui a joué – et continue de jouer – un rôle majeur dans la structuration des soins et la recherche psychiatriques. 

 

   Si les deux premières éditions (respectivement en 1952 et 1968) de cette classification élaborée sous le patronage de l’American Psychiatric Association (APA) furent plutôt confidentielles, la troisième édition, publiée en 1980, s’impose vite comme la classification de référence sur le plan international. Pour la première fois dans l’histoire de la psychiatrie, un manuel tente de rassembler, de manière méthodique, l’ensemble des diagnostics en usage. Pour chaque diagnostic possible est fournie une liste précise de critères (dits « monothétiques » quand leur présence est jugée indispensable ; dits « polythétiques » quand un nombre fixé de symptômes dans une liste prédéfinie doit être présent). Des arbres de décision complètent l’usage du manuel en permettant d’affiner le diagnostic différentiel. Le but est de fournir, à travers les cinq axes qui composent le système (axe I des troubles mentaux ; axe II des troubles de la personnalité ; axe III des troubles somatiques associés ; axe IV des facteurs de stress psychosociaux ; axe V qui évalue le fonctionnement et le niveau d’adaptation de l’individu), un tableau clinique le plus exhaustif possible.

 

   Le succès de cette classification ambitieuse et innovante est inespéré : dès la fin des années 1980, le DSM-III est traduit dans la plupart des langues et se trouve utilisé presque partout dans le monde. Son influence dépasse alors celle de la Classification internationale des maladies (à l’époque, la CIM- 9) élaborée par l’Organisme Mondial de la Santé (OMS). Non seulement le DSM-III est plus précis que la CIM-9 sur le plan clinique (ce qui permet de réduire, espèrent ses concepteurs, les écarts considérables qui existent dans les pratiques diagnostiques – ce qu’on appelle en langage technique le manque de fiabilité inter-juges), mais il est plus utile pour structurer les recherches cliniques et pharmacologiques, dans la mesure où ses critères opérationnels permettent de constituer des cohortes de patients homogènes, et facilitent donc la mise en place d’analyses quantitatives.

 

   Mais la réussite éditoriale du DSM-III ne va pas sans critique : très tôt, les reproches abondent. Beaucoup de cliniciens (en particulier ceux d’orientation psychanalytique) reprochent à cette classification, qui prétend être a-théorique – au sens où elle se tient strictement au plan descriptif sans s’aventurer sur le plan étiopathologique –, de véhiculer en sous-main une conception réductionniste et strictement biomédicale de la pathologie mentale. Très vite, d’autres cliniciens et chercheurs se joignent au concert des critiques pour reprocher au DSM-III d’avoir sacrifié la validité sur l’autel de la fiabilité inter-juges : à trop vouloir homogénéiser la pratique clinique, le DSM-III aurait commis l’erreur de simplifier l’examen clinique en psychiatrie, au risque d’en dénaturer les enjeux. Même des psychiatres très proches de l’APA, comme Allen Frances (à la tête de la « Task Force » du DSM-IV), ou Thomas Insel (directeur du NIMH au début des années 2000), finiront par regretter le « manque de validité » du DSM, que les révisions successives au fil des ans (respectivement le DSM-III-R en 1987, le DSM-IV en 1994, le DSM-IV-TR en 2000, le DSM-V en 2013, et bientôt le DSM-V-TR en 2022) n’ont jamais permis de combler. 

 

    La position hégémonique du DSM a produit des effets délétères, dont la plupart étaient inattendus. Il est devenu à tort un manuel d’apprentissage de la formation clinique dans les facultés médicales, et ses critères ont pu être utilisés sans recul dans des campagnes de prévention. Aux États-Unis, l’usage du DSM a été détourné par les avocats dans les cours de justice, dans le dos des experts psychiatres, pour innocenter ou au contraire accuser quelqu’un. L’industrie pharmaceutique n’a pas été en reste, en comprenant assez tôt l’intérêt (officiellement sanitaire, officieusement mercantile) de rendre publics, au moyen de campagnes publicitaires, des critères cliniques normalement réservés aux professionnels, ou encore en cherchant à influencer certains experts en vue d’élargir les critères diagnostiques  - et donc les prescriptions médicamenteuses (voir les émoluments astronomiques que Joseph Biederman, spécialiste du Trouble déficit de l’attention chez les enfants, avait cachés aux autorités américaines jusqu’à la fin des années 2000). Si le DSM reste très utilisé dans le monde, son influence depuis quelques années tend à s’effriter. D’un côté, la CIM-11 a fini par s’imposer comme référence obligatoire pour tous les pays membres de l’OMS ; de l’autre côté, toute l’attention théorique est aujourd’hui concentrée sur le projet RDoC (Research Domain Criteria), financé par le NIMH, qui vise à constituer une classification psychiatrique entièrement nouvelle, explicitement informée par les neurosciences. 


Prolonger la lecture sur le dictionnaire : Règle Goldwater - Responsabilité psychiatrique

Steeves Demazeux - MCF Philosophie, Université Bordeaux-Montaigne, Laboratoire SPH

Références :

Hannah S. Decker, The making of DSM-III: A diagnostic manual’s conquest of American psychiatry, Oxford University Press, 2013.

Stuart Kirk, Herb Kutchins , 1992, Aimez-vous le DSM ? Le triomphe de la psychiatrie américaine, Les empêcheurs de penser en rond, trad. O. Rallet & D. Gille, 1998.

Pour citer cet article : Steeves Demazeux, "DSM (Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles Mentaux)", dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHis, Le Mans Université, 2022.

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