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Dictionnaire Politique d'Histoire de la Santé

Grippe russe

Dès l'automne 1889, une étrange maladie touche les populations occidentales : la grippe russe. Pépin (pseudonyme de Édouard Guillaumin) “Tout le monde l'a (ter) l'Influenza [Légende : La Ronde des Médecins et des Potards.]”, Le Grelot, 12 janvier 1890 © Wellcome collection .

   Dès l'automne 1889, une étrange maladie touche les populations occidentales : la grippe russe. 

 

   Bien qu'ayant potentiellement émergée dans l'actuel Ouzbékistan à Boukhara, c'est à partir de Saint-Pétersbourg, en Russie, que cette « grippe » se propage mondialement. Cette maladie a différents noms : “la grippe de Saint-Pétersbourg”, “la grippe russe”, “la grippe asiatique”, ou encore “influenza”. En revanche, nous savons aujourd'hui que ce n'était pas un virus grippal mais bel et bien un coronavirus d'origine animale. C’est d'ailleurs la première pandémie provoquée par un coronavirus référencée. 

 

   Pandémie, car la « grippe russe » déferle sur le monde à un rythme effréné. Dès janvier 1890, en l'espace de 2 mois, toute l'Europe occidentale, les États-Unis d'Amérique, ou encore l'Australie sont touchés. Au printemps 1890, c'est au tour de l'Asie et de l'Afrique d'être contaminées par ce coronavirus. Les Africains, ignorant tout de cette maladie, l'appelent : « la maladie de l'homme blanc ». Mais si l'infectiosité est très élevée, le taux de mortalité reste faible (environ 6 personnes sur 100). Néanmoins, la grippe a provoqué plus d'un million de morts. Parmi ce million de morts, on estime qu'un quart des décès concerne l’Europe.


   Prenons l’exemple de la France, la maladie est d'abord identifiée chez le personnel des Grands Magasins du Louvre à Paris. Sur 3 900 employés, 670 ont été contaminés rien que pendant la semaine du 26 novembre 1889. Dès le début de l'hiver, un tiers des lits des hôpitaux sont utilisés pour les personnes touchées par la pandémie. Les hôpitaux étant saturés, il en est de même pour les pompes funèbres. Le pic de cette maladie survient le 28 décembre où une personne sur dix est touchée à Paris, cela représente environ 180 000 personnes. La maladie fait quotidiennement entre 400 et 500 morts et affecte aussi bien le monde politique que l’armée. Le président Émile Loubet et ses ministres étant touchés par la maladie. 

 

   Comme pour l’épidémie de Covid-19, la fermeture des écoles, collèges, lycées et universités est actée. L'armée est réquisitionnée pour aider le service postier, très ralenti par la pandémie. Les commerces de bouche, à l'image des boucheries ou des boulangeries, mettent leurs personnels au chômage. Mais à l'inverse, la demande d’informations, provenant principalement à cette période des journaux, explose. La pandémie russe est alors la première pandémie à faire la Une, devenant, par la même occasion, la première pandémie médiatique.

 

   Le contexte de pandémie incite certains à essayer de comprendre le fonctionnement de cette nouvelle maladie mais aussi à l'utiliser à des fins financières, c’est le cas des charlatans. Si les érudits comme Richard Pfeiffer (1858-1945) estiment qu'il s'agit ici d'une forme de grippe, il n'y a pas un consensus épidémiologique sur le sujet. Mais, bien que sans connaître l'origine microbiologique de cette maladie, des charlatans proposent des remèdes, comme l'huile de ricin, l'électricité, le brandy, les huîtres, sans oublier la quinine ou encore la strychnine, alors que celle-ci pouvaient provoquer la mort dans certains cas. Un traitement reste, aujourd'hui encore, célèbre. C’est celui de la « Carbolic Smoke Ball » soit un inhalateur de poudre de phénol à effet préventif, qui était garanti à hauteur de £100 de son efficacité. 

 

   Cette pandémie à coronavirus a également d’autres similarités avec la pandémie que nous vivons actuellement. Outre le fait qu'il y ait un taux de propagation très élevé,  associé à une faible mortalité (à l'exception des personnes âgées contaminées) et que les établissements d'enseignements soient fermés, cette pandémie pose des questions sociétales et politiques qui nous sont étrangement familières. Fait intéressant, similaire avec ce que nous avons vécu avec la chloroquine, il y a des ruptures de stock ainsi qu'une spéculation financière sur la quinine, envisagée par les contemporains comme une solution miracle et utilisée, elle-aussi, pour la guérison du paludisme. De même, de multiples théories soucieuses d’expliquer les origines de la maladie, tendant parfois vers le conspirationnisme, sont suggérées par les classes populaires. 

 

Prolonger la lecture sur le dictionnaire : Grippe espagnole - Quarantaine - Barcelone 1821

Thomas Cochard - Le Mans Université

Références

Frédéric Vagneron, « Déchiffrer la grippe russe. Quand une pandémie devient un événement statistique (1889-1893) », Population, 2020/2-3 (Vol. 75), p. 359-389.

Frédéric Vagneron, « Une presse influenzée ? Le traitement journalistique de la pandémie de grippe « russe » à Paris (1889-1890) », Le Temps des médias, 2014, n°23, p. 78-95.

 

Pour citer cet article : Thomas Cochard, "Grippe russe", dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2022.



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