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Dictionnaire Politique d'Histoire de la Santé

Humanisation

L’humanisation de l’hôpital psychiatrique, et de l’hôpital en général, est un thème problématique dont s’empare de manière récurrente tant l’opinion publique que les scientifiques et les politiques. Tony Robert-Fleury, Philippe Pinel à la Salpêtrière (détail) 1876, huile sur toile, Paris, hôpital de la Salpêtrière.

L’humanisation de l’hôpital psychiatrique, et de l’hôpital en général, est un thème problématique dont s’empare de manière récurrente tant l’opinion publique que les scientifiques et les politiques. 

 

    Ces dernières années en France, on observe une résurgence du thème de « l’humain » dans le cadre des luttes en faveur de meilleures conditions de travail, d’accueil, et de soin en psychiatrie. L’humanisation est brandie comme un bouclier contre l’inscription de l’hôpital public dans des rapports de production et des rythmes de travail capitalistes perçus comme déshumanisants. Mais qu’entend-on par “humanisation” ?

 

    Même si le terme d’humanisation semble faire référence à une condition universellement partagée et évidente par soi, son évidence n’est qu’apparente, et son universalité, discutable, à commencer par le fait que la notion d’humanisation a une histoire. Le flou est maintenu notamment sur un point fondamental : s’agit-il d’humaniser les soignant·e·s, les patient·e·s, ou les infrastructures ? 

 

    Dans sa version humaniste, l’humanisation fait référence à la qualité des soins, prodigués par un personnel attentif aux besoins émotionnels et psychologiques des patient·e·s, ainsi qu’à leur biographie. Au cours du XXe siècle, certains courants humanistes de la psychiatrie allemande, française ou encore italienne, s’inspirant de la phénoménologie, ont ainsi conféré une valeur thérapeutique à la description de l’expérience subjective de la maladie. D’autre part, l’humanisme en psychiatrie a été fortement défendu par Franz Fanon.  Ce psychiatre né en Martinique a longtemps travaillé en Algérie, où il s’est engagé auprès du Front de Libération Nationale. Selon lui, l’humanisme constitue un outil psychologiquement régénérateur et politiquement réparateur pour les populations littéralement privées de leur humanité par les rapports de domination coloniale.

 

    L’humanisme n’est pas la seule version possible de l’humanisation. Ainsi, l’après-guerre a ouvert la voie à une définition non humaniste de l’humanisation. Selon cette dernière, il s’agit de moderniser et rationaliser l’organisation des (infra)structures hospitalières. Dans un sens strict, l’humanisation désigne une série de réformes gouvernementales menées à partir de 1958 et jusqu’aux années 1970 pour moderniser les hôpitaux généraux, et donc non psychiatriques. L’objectif est de supprimer tout ce qui rappelle, dans l’hôpital, son origine d’hospice pour indigents, afin d’y attirer une clientèle solvable. De leur côté, les hôpitaux psychiatriques ont fait l’objet de réformes plus ou moins équivalentes aux réformes d’humanisation, sans en porter officiellement le nom. Ainsi, une circulaire de 1952, soulignant la nécessité « d’affirmer [par tous les moyens] le caractère d’établissements de soin des hôpitaux psychiatriques », est sobrement intitulée « Fonctionnement des hôpitaux psychiatriques ». Dans ce cadre, l’humanisation désigne une politique économique appliquée au système de santé, qui n’« humanise » pas des personnes ou des comportements, mais les conditions (infra-)structurelles de l’exercice de la psychiatrie. 

 

    Plus précisément, les réformes d’humanisation, telles qu’elles sont décrites par les textes officiels, ciblent principalement l’encombrement, perçu comme une atteinte intolérable à la dignité humaine ; l’enfermement, dont le caractère thérapeutique est remis en question alors même qu’il avait constitué pendant longtemps le principal mode de prise en charge institutionnelle ; la vétusté des infrastructures ; et enfin, la fonction de gardiennage endossée par le personnel infirmier. Les moyens d’améliorations envisagés vont, de manière non exhaustive, de la revalorisation du métier d’infirmier à l’équipement des hôpitaux en sanitaires, de l’amélioration des menus à la mise au point de signalétiques et de livrets explicatifs, ainsi qu’à une attention accrue portée au décor, aux odeurs, aux sons. 

 

    Néanmoins, une question se pose : pourquoi les hôpitaux psychiatriques n’ont-ils pas fait l’objet d’une politique d’humanisation au même titre que les hôpitaux généraux ? Premièrement, historiquement, les hôpitaux généraux et les hôpitaux psychiatriques ne relèvent pas des mêmes corpus législatifs et réglementaires et ces corpus sont souvent étanches les uns aux autres. Deuxièmement, il est vrai que le groupe des psychiatres militants et réformistes, groupe qui exerçait une véritable influence sur les acteurs gouvernementaux, n’arrivait pas à se mettre d’accord sur le modèle institutionnel à adopter et la manière de réformer l’asile de l’intérieur. Enfin, troisièmement, on peut émettre l’hypothèse que la psychiatrie n’aurait pas fait l’objet d’une politique d’humanisation à proprement parler parce que les personnes qui vivent des hospitalisations longues et/ou récurrentes en psychiatrie ne sont pas considérées comme une population solvable. Les années 60-70 voient d’ailleurs des cliniques privées se développer en psychiatrie.

 

    Cependant, l’humanisation désigne aussi un mouvement informel et un imaginaire thérapeutique. À ce titre, il n’est pas réductible aux politiques publiques ni aux récits qui leur sont liés. Effort continu en faveur de la dignité des conditions de travail, de vie et de soin pour les divers acteurs et actrices de la psychiatrie à l’hôpital, l’humanisation se présente comme le réagencement quotidien des rapports politiques à l’intérieur même des structures de soin, ce que l’histoire des pratiques infirmières permet notamment de montrer.

 

Prolonger la lecture sur le dictionnaire : Encombrement - Lit

Coline Fournout - Doctorante en anthropologie médicale - Université McGill

Références :

Anne Nardin, L’humanisation de l’hôpital : mode d’emploi. Exposition au Musée de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, 21 octobre 2009-20 juin 2010. HP-HP. 2009. 

Marie-Claude Thifault, Laurie Kirouac. « Les infirmières psychiatriques témoins d’un mouvement d’humanisation au cours des premières et deuxièmes vagues de la désinstitutionnalisation au Québec (1960-1990) » Recherche en soins infirmiers n° 139 4 | 2019.

Pour citer cet article : Coline Fournout, "Humanisation", dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2022.

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