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Dictionnaire Politique d'Histoire de la Santé

Loi Veil 1976

La lutte contre le tabagisme, bien qu'elle poursuive des enjeux sanitaires incontestables, est imprégnée d'un caractère politique fortLa Santé de l'homme, n°200, septembre-octobre 1976.La lutte contre le tabagisme, bien qu'elle poursuive des enjeux sanitaires incontestables, est imprégnée d'un caractère politique fort.

Découvert lors de l'expédition de Christophe Colomb vers les « Indes » à la fin du XVe siècle, le tabac est très rapidement introduit en Occident. Bien qu'il fasse l'objet de quelques réticences, particulièrement de membres importants du clergé, sa consommation se développe en raison notamment des vertus thérapeutiques qui lui sont sont attribuées. Des médecins se sont très vite fait l'écho des potentiels dangers de cette consommation ; c'est néanmoins surtout à partir du XIXe siècle, suite à la découverte (1809) et à l'isolement (1829) de la nicotine, que ces questions prennent une tournure nouvelle. En effet, la nicotine, alcaloïde présent dans les feuilles de tabac, se révèle être un violent poison. Suite à cette découverte, le tabac commence à changer d’image, même si le nombre de consommateurs ne cesse d'augmenter. 

Afin d'endiguer ce phénomène, l'antitabagisme s'institutionnalise et les premières associations  voient le jour. L'Association Française contre l'Abus de Tabac (1868) et la Société Française Contre l'Abus de Tabac (1877) ne résistent néanmoins pas à l'éclatement du premier conflit mondial. Les débats renaissent en 1950, suite à la parution de deux rapports américain et anglais, évoquant la possible existence d'un lien de causalité entre la consommation de tabac et l'apparition de cancers du poumon. Dès lors, les études se multiplient et, dès la fin de cette décennie, les scientifiques savent que la consommation de tabac est à l'origine de nombreux cancers. Certaines institutions sanitaires comme l'Organisation mondiale de la santé, le Royal College of Physicians de Londres ou l'Académie nationale de médecine réclament la mise en place de politiques de santé publique. Elles voient le jour à partir de la fin des années 1950 aux États-Unis et en Grande-Bretagne, puis plus généralement dans la première moitié des années 1970, notamment dans les pays scandinaves. 

Ce n'est qu'à partir de l'année 1975 que le gouvernement français se décide à agir, sous l'impulsion de Simone Veil. Bien que souhaitée par différents ministres de la Santé depuis 1964, notamment par Raymond Marcellin (1962-1966), Jean-Marcel Jeanneney (1966-1968) et Robert Boulin (1969-1972), la lutte contre le tabagisme fut ralentie par le Ministère de l’Économie et des Finances, ministère de tutelle du monopole français des tabacs, et le Service d'Exploitation industrielle des tabacs et des allumettes (Seita), en raison des recettes que la vente des produits du tabac rapporte à l’État. Néanmoins, étant donnée la pression exercée par l'Organisation mondiale de la Santé, par l'Académie nationale de médecine, et par certains cancérologues et pneumologues tels queMaurice Tubiana et par diverses associations de lutte contre le tabagisme telles que leComité National Contre le Tabagisme ou la Ligue contre la fumée du tabac en public, eu égards également aux mesures mises en place dans les pays occidentaux, Simone Veil décide, au cours de l'année 1975, seulement quelques semaines après avoir obtenu le vote de la loi du 17 janvier 1975 relative à l'interruption volontaire de grossesse, de lancer la première campagne française de lutte contre le tabagisme. Annoncée en début d'année, la campagne est officiellement lancée le 16 septembre 1975. S'appuyant sur des campagnes d'information utilisant l'ensemble des médias disponibles (télévision, radiodiffusion, affiches, expositions itinérantes...), cette campagne poursuit trois objectifs : l'information du public, l'éducation des jeunes et des femmes ainsi que la protection des non-fumeurs. Pour cela, un projet de loi est présenté au cours de l'année 1976. Votée le 9 juillet 1976 et inscrite au Journal Officiel le 10 juillet, la loi n°76-616 relative à la lutte contre le tabagisme, dite loi Veil, prévoit notamment la limitation de la publicité, la mise en place de messages sur les paquets de cigarettes, l'interdiction de la donation à titre gratuit de cigarettes, l'interdiction du patronage sportif, la limitation du tabagisme dans les lieux publics et le lancement de plusieurs campagnes d'information du public, dont la première débute en octobre 1976 avec le slogan « Sans tabac, prenons la vie à pleins poumons ».

La loi Veil respecta la mission qu'elle s'était fixée, informer la population afin de faire diminuer la consommation. Néanmoins, l'effet sur la consommation de tabac ne fut pas celui escompté, la loi ne permettant qu'une stabilisation de la consommation au niveau de l'année 1975-1976, probablement en raison des nombreux privilèges laissés aux industriels du tabac. Il fut donc décidé, dans la deuxième moitié de la décennie 1980, de renforcer la loi Veil. Pour cette raison vit le jour, le 10 janvier 1991, la loi Evin relative à la lutte contre le tabagisme et l'alcoolisme.

Antoine Thomas - Le Mans Université

Références :

 

Eric Godeau, Le tabac en France de 1940 à nos jours. Histoire d'un marché, Paris, PUPS, 2008.

Jean-François Lemaire, Le tabagisme, Paris, PUF, collection « Que sais-je ? », 1980 (5e édition, 1999).

 

Pour citer cet article : Antoine Thomas, "Loi Veil 1976", dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2020.

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