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Dictionnaire Politique d'Histoire de la Santé

Poil

Le poil est un extraordinaire fil d'Ariane capable de nous guider dans l'exploration des sociétés passées.Napoléon III et le prince impérial sur ses genoux (détail), Anonyme, château de Compiègne.

    Le poil est un extraordinaire fil d'Ariane capable de nous guider dans l'exploration des sociétés passées.

 

    En 2008 est fondée la Barbe, un groupe d'action féministe dénonçant la sous-représentation des femmes dans les instances de pouvoir économiques, politiques, sociaux et culturels. Lors de leurs actions, elles portent la barbe, signe, selon elles, de la supériorité masculine et de son contrôle sur la société. Cette dénonciation peut faire écho au XIXe siècle, époque durant laquelle les hommes politiques portent en très grande majorité la moustache et la barbe.

 

    Le poil vient du grec thrix, trichos (la science du poil étant la trichologie). À l'origine, les poils servaient à la régulation de la température et à la protection contre la poussière. Depuis que l'Humanité s'est organisée en civilisation (IVe millénaire av J-C), ces organes ont changé de fonction. Dorénavant, ces derniers, en tant qu’élément du corps modifiable (comme les ongles, ils continuent à pousser après la mort) véhiculent un message culturel, social et politique. Malgré sa taille bien modeste, le poil est un fait social total.

 

    La pilosité est empreinte de symbolique. Elle est à la fois le signe de la puissance, de la virilité et du courage mais aussi de la sauvagerie. Ces aspects renvoient aux mythes bibliques (Samson et Dalila) mais aussi à celui de Gilgamesh et de son Epopée. Le poil est aussi un marqueur de ce qui est dans la norme ou qui ne l'est pas. Il convient donc d'évoquer le poil ''monstrueux''. Cette notion de poil ''hors-norme'' se développe notamment au XIXe siècle lorsque les femmes à barbes (comme la célèbre Joséphine Clofullia) et les hommes-chiens (atteints d'hypertrichose) sont exposés dans toutes les foires européennes. Ils ont un grand succès auprès du public car ils sont reconnaissables par leur apparence humaine mais assez différents pour engendrer la curiosité (il est question de l'émergence d'une nouvelle race humaine, mi-homme, mi-animale). Aussi, l'excès de poil met en exergue une sauvagerie (originelle) non refoulée et est le signe d'un individu dangereux, parfois potentiellement un criminel. Cela explique l'utilisation du poil comme technique de classification des criminels par le criminologue Lombroso. Le contrôle des individus se fait aussi par celui du corps, il ne faut donc pas occulter la question hygiénique de la société du XIXe siècle (les poils étant des vecteurs de maladies par leurs bactéries et vermines: poux, morpions) qui luttait contre une pilosité trop abondante.

 

    Évidemment, le poil est surtout un fait culturel et social. Le poil étant un signe ostentatoire, il permet la distinction sociale entre les riches et les pauvres, les urbains et les ruraux, les jeunes et les vieux, les dominés et les dominants, les hommes et les femmes, ... Pour ce dernier cas de figure, les différences genrées sont notoires : les hommes se doivent d’être poilus et les femmes glabres. Les femmes doivent être épilées car la pilosité chez une femme est synonyme de petite vertu. Dans le tableau de Courbet de 1866, L'origine du monde, ce n'est pas tant la nudité qui est critiquée mais le Mont de Vénus poilu. Aussi, ces poils que portent les hommes sont des signes de distinction mais aussi de séduction comme le montre le portrait de Napoléon III et sa moustache complexe et grandiose.

 

    Tout cela nous amène au poil politique. Comme l'explique une classification anonyme de 1836 intitulée Histoires des moustaches et de la barbe, les orientations politiques peuvent être déterminées selon les types de moustaches et de barbes portées. Ainsi, une barbe bien taillée montre la canalisation de la sauvagerie et la puissance de l'individu par son autocontrôle ce qui le rend apte à gouverner une nation (rappelant les mythes symboliques encore très influents dans l'imaginaire collectif de l'époque). Si le port de la barbe fut révolutionnaire, il devient l’apanage des instances du pouvoir qui s'accaparèrent les codes de leurs détracteurs pour assurer leur supériorité sur la société, à l'instar des changements de pilosité des souverains des maisons Hohenzollern et Habsbourg ou encore de Napoléon III au grand dam de Hugo.

Cette idée se renforce lors de la Première Guerre mondiale et l’apparition des Poilus. Cette dénomination est liée au courage car c'est « l'homme qui a du poil au bon endroit» qui combat. Durant l'après-guerre, les hommes (en majorité d'anciens Poilus) ne portent plus la barbe pour s'éloigner du traumatisme vécu de la transgression des normes lors du conflit marqué par un retour légitime à la sauvagerie originelle. 

 

    Alors que les hommes meurtris intègrent la mythologie nationale, les femmes du XXe siècle s'émancipent en devenant des ''garçonnes'' avec des cheveux plus couverts et plus courts, transmission symbolique de la virilité des hommes après leur participation à l'effort de guerre.

 

Prolonger la lecture sur le dictionnaire : Clémentine Delait - Lycanthropie

Arthur Corre - Le Mans Université

Références :

Marie-France Auzepy et Joël Cornette (dir.), Histoire du Poil, Belin, 2017 (DL 2011).

Christian Bromberger, Les sens du poil, une anthropologie de la pilosité, Creaphiséditions, 2015 (DL 2010 : Trichologiques. Une anthropologie des cheveux et des poils, Bayard éditions).

Pour citer cet article : Arthur Corre, "Poil", dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHis, Le Mans Université, 2022. 

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