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Dictionnaire Politique d'Histoire de la Santé

Surmortalité asilaire

La surmortalité des aliénés de la Grande Guerre a-t-elle été la conséquence d’un choix politique?Deux aliénés atteints de cachexie, Augustin Bénédict Morel, Traité des dégénérescence physiques, intellectuelles, et morales de l'espèce humaine, 1857, p.48, BIU Santé..La surmortalité des aliénés de la Grande Guerre a-t-elle été la conséquence d’un choix politique?

 

Pendant la Première Guerre mondiale, une mortalité importante touche les asiles qui traitent les personnes atteintes de trouble mental. Cette population subit, en Belgique et en France, les différentes conséquences des politiques de la Grande Guerre. Il est intéressant de voir, à partir de ce constat, de quelle manière la politique des belligérants a eu un impact sur la mortalité dans les asiles. 

 

   La mortalité est un fléau pour les asiles pendant et après la Première Guerre mondiale. Au Mans, 350 patients décèdent entre juin 1918 et juin 1919, soit 40 % de l’effectif présent à l’asile. Tous les établissements sont touchés par cette surmortalité. Certains asiles tels que Rennes, Mayenne ou encore Nancy ont un taux de mortalité autour de 10 à 15 % en 1918, tandis qu’au Mans, à Bron ou Albi, ce taux est deux fois plus élevé. La mortalité dépend de la situation de l’asile par rapport à la zone de conflit. Dans les hôpitaux situés près du front, la mortalité est importante. A Prémontré, dans l’Aisne, 539 décès sont enregistrés du 1er janvier au 8 décembre 1915. 

 

   Tous les patients des asiles ne sont pas logés à la même enseigne. Il existe une inégalité des conditions de soin entre les soldats atteints de troubles mentaux suite aux combats et les aliénés civils hospitalisés de longue date. Les soldats sont soignés en priorité par les médecins aliénistes, car ils doivent retourner au front le plus rapidement possible afin de défendre la patrie. Cela a pour effet une mortalité moins importante chez les soldats internés que chez les civils. Au Mans, sur 118 soldats, 25 % décèdent, or chez les civils la mortalité moyenne est de 40 %.

 

   La distinction  existe aussi entre les territoires. En Belgique, territoire occupé par les Allemands et sous blocus commercial, la mortalité de la population civile entre 1914 et 1918 est estimée à 1,2 %, alors qu’elle est 20 fois supérieure chez les aliénés. En effet, si le CNSA (Comité national de secours et d’alimentation.), qui s’occupe du rationnement, prévoit des rations de nourriture supplémentaires pour les nourrissons, les enfants “débiles”, les femmes enceintes, les tuberculeux et les prisonniers, il n’en prévoit pas pour les aliénés. La différence de traitement n’est pas négligeable. En juin 1918, la ration de pain pour les aliénés est de 260 grammes par jour alors que  pour les enfants “débiles” elle est fixée à 400 grammes. Pour certains, le CNSA n’a pas joué son rôle de secours en Belgique, ce qui expliquerait la famine des populations asilaires délaissées. 

 

   La surmortalité découle de plusieurs facteurs. Tout d’abord, la malnutrition. Les carences alimentaires sont dues au manque de moyens des asiles et au rationnement de la nourriture. Sous l’occupation, les asiles du front sont pillés, les terres, le charbon, les biens meubles et la nourriture sont réquisitionnés par les Allemands. À Prémontré, commune de l’Aisne, sous occupation allemande, la surmortalité est flagrante ; les décès s’élèvent à 763 entre 1914 et 1916. Il est indéniable que les pillages militaires ont un impact sur la famine. 

 

   La deuxième cause de la surmortalité est la surpopulation des asiles aggravée par les nombreux transferts des aliénés du front à l’arrière. Or, avec les réquisitions et l’augmentation du nombre d’aliénés, la nourriture est de plus en plus restreinte. À partir du 4 septembre 1914, environ 5 600 aliénés sur les 15 500 hospitalisés de la Seine sont évacués. La proximité du combat joue sur l’évacuation car les Allemands  récupèrent les asiles pour loger les troupes. De plus, certains asiles de Paris accueillent des blessés de guerre. Pour cela, il faut évacuer les fous et laisser la place aux soldats. Le fou est dépendant de la société, tandis que le soldat peut défendre la patrie ; il est donc préférable d’aider le soldat plutôt que l’aliéné. 

 

  La sous-alimentation entraîne une fragilité et une vulnérabilité des corps face aux maladies. La surpopulation et les déplacements facilitent la diffusion des maladies. Ainsi, la grippe de 1918 fait des ravages chez les aliénés. À Ville-Évrard, sur 150 patients touchés, 26 meurent de la grippe espagnole, et cette grippe n’épargne pas les infirmières. 

 

   Pendant toute la guerre, s’est donc mise en place une aide pour les populations démunies, les petits enfants, les tuberculeux ou les veuves de guerre, mais les personnes âgées et les aliénés ne reçoivent pas prioritairement cette aide, car ces groupes ne sont pas jugés utiles pour la société. Ainsi, il est criant que les gouvernements ont fait un choix lors de la Grande Guerre, choix qui n’a longtemps pas été assumé par les politiques et notamment en Belgique. Comme l’ont montré les historiens, la problématique s’est reposée de manière dramatique durant la Seconde Guerre mondiale.

 

Prolonger la lecture sur le dictionnaire : Aveugles- Grippe espagnole 

Titouan Bois - Le Mans Université

Références :

Anne Roekens, Benoît Majerus, Vulnérables, Presses Universitaires de Namur, 2018.

Stéphane Tison, “ Loin du front, la folie ? Les civils internés à l’asile durant la Grande Guerre”,  Guerres mondiales  et conflits contemporains, 2015, vol. 257, n°1, p. 13-36.

Pour citer cet article : Titouan Bois, "Surmortalité asilaire", dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2020.

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