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Dictionnaire Politique d'Histoire de la Santé

Bébés sur mesure

Et si avoir un bébé sur mesure n’était plus un fantasme mais une réalité ?La vie électrique : le vingtième siècle, texte et dessins, par A. Robida, Paris, BnF, Librairie illustrée, Paris, 1892.

   Et si avoir un bébé sur mesure n’était plus un fantasme mais une réalité ?

 

   L’idée d’un enfant à la carte est une idée qui n’est pas récente, dès le XXe siècle des auteurs commencent à écrire sur ce sujet. Deux œuvres sont ainsi connues pour avoir exploité la notion de bébé sélectionné dès la naissance : la dystopie Le meilleur des mondes (1931) de Aldous Huxley et le film Bienvenue à Gattaca (1997) de Andrew Niccol. Le meilleur des mondes soulève des questions importantes sur la liberté individuelle, le contrôle des naissances, la manipulation génétique et le pouvoir des médias de masse. Dans cette société, il n’y a pas de parents, les enfants sont créés pour subvenir aux besoins de la société. Cette société se veut un exemple de stabilité, les différences sont gommées, chacun reste à la place qui lui a été attribuée. Le film de Andrew Niccol met également en avant le choix de la génétique des enfants. Le personnage principal, Vincent, est différent des autres enfants de ce monde dystopique car il est né d’une conception naturelle. Pour leur deuxième enfant, ses parents choisissent d’avoir recours à la méthode normale de ce monde pour le concevoir. Le docteur propose, lors du rendez-vous de conception, un ensemble de caractéristiques normales à avoir pour les futurs enfants de cette société dystopique. Ces deux œuvres sont empreintes des sociétés dans lesquelles elles ont été pensées, Le meilleur des mondes a été écrit par un auteur qui a été traumatisé par la Première Guerre mondiale et par les avancées scientifiques qui ont pu être faites dans le début du XXe siècle. Bienvenue à Gattaca place le spectateur dans des procédés qu’il connaît, les techniques de reproduction montrées sont déjà existantes, il ne s’agit pas d’inventions fantasmées mais de méthodes à la portée des scientifiques de la fin des années 1990. Lorsque planent de nouvelles évolutions qui peuvent faire penser à des dérives eugénistes, les médias font référence à ces deux œuvres.

 

   L’eugénisme intervient ici comme une ségrégation de la population par les gênes. La sélection de certains traits génétiques considérés comme "désirables" au détriment d'autres traits. Le docteur Villey, président du conseil de l’ordre des médecins, évoque ces inquiétudes dès 1984 : « Toutes ces performances méritent l’admiration pour leurs réussites techniques, mais elles sont aussi sources d’inquiétude ». L’idée de la sélection des gènes a pu apparaître dès la naissance du premier bébé in vitro, Louise Brown à Londres le 25 juillet 1978, elle est qualifiée de « bébé du siècle » ou encore de « bébé venu d’ailleurs » par la presse internationale. La fécondation in vitro semble ainsi possible pour les humains à cette période.

 

   Un docteur se démarque dans cette méthode, il a tout d’abord assisté à la naissance de Louise Brown et y a vu l’opportunité de pouvoir sélectionner les caractéristiques des enfants dès ce moment de fécondation. La première idée qui lui est venue est celle du sexe des enfants. Sur son site internet, le docteur Jeffrey a développé ses offres, il est désormais possible de choisir la couleur des yeux de l’enfant. Il s’agit d’un marché lucratif puisqu’une fécondation in vitro coûte entre 15 000 et 25 000 dollars aux Etats-Unis. Dans le pays, lors d’une FIV, le choix du sexe de l’enfant est proposé systématiquement. Pourtant, le contrôle des embryons n’a pas été développé pour cette utilisation, en effet, cette technique a été détournée de sa fonction initiale, celle de la détection d’anomalies génétiques ou chromosomiques.

 

   Cette pratique est très peu réglementée, il n’existe pas en France de cadre juridique qui l’encadre, c’est pourtant ce que prescrit, lors d'un reportage en 2017, Jacques Testart, un des scientifiques qui a permis la naissance d’Amandine en 1982, le premier bébé né par fécondation in vitro en France. Il alerte sur les dérives eugénistes du tri des êtres humains alors qu’ils ne sont encore qu’au stade d’embryon. Le docteur Laurent Alexandre évoque lui « le toboggan eugéniste » où les nouvelles technologies de sélection apparaissent rapidement et ne sont pas encadrées.

 

   Cette marchandisation de la sélection génétique est vivement relayée dans les médias. Le magazine VOGUE écrit un article sur la naissance du futur enfant du chanteur John Legend qui évoque la FIV de sa femme ce qui lui a permis de choisir le sexe de son bébé. En outre, la fille du Dr. Steinberg a un compte Tiktok où sur son profil elle répond, avec son père, aux questions gynécologiques posées par les utilisateurs du réseau. Le site du docteur a une page dédiée à ce nouveau réseau social, le nom de la clinique est même montré pendant quelques secondes.

 

   Cette technique apparaît aux Etats-Unis comme destinée aux classes sociales plus élevées qui ont les moyens de se permettre de choisir leur futur enfant. Ces Fertility insitutes sont présentes aux Etats-Unis, au Mexique et en Inde. L’adresse de la clinique en Inde n’est pas indiquée sur le site du Dr. Steinberg alors que le pays est indiqué sur le logo. Le site internet est dédié à la vente de FIV et montre la marchandisation de ce processus.

 

   Pour donner une chance à chaque couple de pouvoir sélectionner les gênes de son enfant, le Dr. Steinberg a proposé en 2010 un concept de télé-réalité où des couples pouvaient remporter une FIV et ainsi le choix de la sélection des embryons. Cette émission non-aboutie devait s’appeler « Rêves concevables ».

 

Prolonger la lecture sur le dictionnaire : Accouchement à l'hôpital - École de sages-femmes

Nina Marais - Le Mans Université

Références :

Anne Carol, Histoire de l’eugénisme en France. Les médecins et la procréation XIXe-XXe siècle, Le Seuil, Paris, 1995.

Vincent Guérin, « Choisir son « monstre » : la quête de l’enfant parfait », in Dialogue, n°222, 2018, p. 67-78.


Pour citer cet article
: Nina Marais, “Bébés sur mesure”, dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2024.

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