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Dictionnaire Politique d'Histoire de la Santé

Femmes médecins (Afrique du Nord colonisée)

Au début du XXe siècle, les premières femmes docteures en médecine commencent à exercer en Afrique du nord. Retour sur leur histoire méconnue.Jenny Buttner, Biskra, 1936, Archives de l’Institut Pasteur de Paris

   Au début du XXe siècle, les premières femmes docteures en médecine commencent à exercer en Afrique du nord. Retour sur leur histoire méconnue.

 

   Dès les premières décennies de la colonisation, les femmes algériennes sont vues par les Français comme particulièrement privées de soins, un constat qui s’étend ensuite à toute l’Afrique du Nord et entre dans la rhétorique d’une mission civilisatrice censée légitimer la domination coloniale. C’est pourquoi, depuis le dernier tiers du XIXe siècle, alors que les femmes commencent à pouvoir s’inscrire dans les facultés de médecine, le rôle des femmes médecins dans les colonies est régulièrement mis en avant, particulièrement dans les pays musulmans où le médecin (homme) peine à examiner les femmes. Côté français, l’émigration encadrée des soignantes est, un temps, envisagée, sans succès. Quelques femmes travaillent cependant dans l’Afrique du Nord « française ».

 

   C’est surtout le cas en Algérie où les premières femmes docteures en médecine commencent à exercer au tournant des XIXe et XXe siècles, d’abord sollicitées pour les soins aux femmes et aux enfants « indigènes ». Le gouvernement général organise ainsi un service de consultations gratuites confié à des « doctoresses ». Une dizaine ouvre dans les principales villes à partir de 1902, employant les quelques femmes médecins exerçant en Algérie au début du XXe siècle. Sur la petite dizaine enregistrée dans les années 1905-1910, plusieurs sont russes – cinq sur dix en 1906 –, parfois juives, pas forcément naturalisées, mais qui, ayant obtenu leur diplôme en France, peuvent exercer dans les départements algériens. Il s’agit alors d’une niche professionnelle pour des praticiennes peinant à se procurer une clientèle dans des villes où la concurrence est forte.

 

   C’est aussi le cas dans les protectorats voisins : arrivée en 1897 en Tunisie, la Russe Gertrude Gordon, longtemps la seule femme médecin à y exercer, travaille dans ce type d’établissement. De même, Françoise Entz-Legey qui, venue d’Algérie, s’installe en 1910 à Marrakech où elle fonde d’abord un dispensaire pour femmes et enfants marocains puis une maternité en 1926. Il en va de même avec l’histoire d’Eugénie Rubinstein-Delanoë, à Mazagan, ou encore d’une autre Russe juive, Sarah Broïdo, médecin sur les lignes d’Afrique du Nord, un temps à la tête d’une clinique pour femmes et enfants « indigènes » en Algérie, médecin de l’état-civil à Tunis qui s’installe au Maroc en 1912 et exerce à Fez, Rabat puis Casablanca jusqu’à sa mort en 1942. Au Maroc aussi, après la Première Guerre mondiale, les autorités appellent à inciter les femmes médecins à venir au Maroc pour faire entrer les femmes et les enfants - musulmans et juifs - dans la « modernité » médicale.

 

   Au début des années 1930, une quinzaine de cliniques pour femmes et enfants « indigènes » fonctionne en Algérie. Si, dans les grandes villes, elles sont de mieux en mieux équipées, employant plusieurs infirmières, voire plusieurs femmes médecins, loin de l’Algérie côtière, le modèle originel du dispensaire, sommairement aménagé, demeure, comme c’est le cas à Biskra en 1936.

 

   Dans l’entre-deux guerres cependant, les cliniques musulmanes cessent de représenter la principale possibilité de recrutement pour ces femmes qui, de plus en plus, exercent en libéral ou dans un cadre hospitalier. Leur pratique se déroule essentiellement dans les principales villes, quand bien même quelques-unes, très rares, ont pu être médecin de colonisation ou médecin communal. Encore trop peu nombreuses, elles sont relativement peu sollicitées lorsque se met en place, en 1926 en Algérie, l’Assistance aux mères et aux nourrissons qui, cherchant à atteindre les femmes musulmanes des campagnes, s’accompagne de la création des infirmières-visiteuses coloniales (1926) puis des infirmières-visiteuses indigènes (1934), tentative, peu couronnée de succès jusqu’aux années 1950, de former également les femmes musulmanes aux métiers du soin. Les principaux agents de la médicalisation envers les femmes demeurent cependant les sages-femmes, relativement nombreuses en Algérie dès le XIXe siècle et les infirmières, de mieux en mieux formées à partir de l’entre-deux-guerres dans les différentes écoles des trois colonies.

 

   Le nombre des femmes médecins ne cesse cependant d’augmenter en Afrique du Nord, en Algérie surtout, où une partie d’entre elles est diplômée de la faculté de médecine d’Alger, mais également, dans une moindre mesure, dans les colonies voisines.

 

Nombre de femmes médecins en exercice au Maghreb (1914-1949)

 

 

1914

1924

1934

1949

Algérie

11

15

27

79

Tunisie

1

1

13

9

Maroc

2

2

20

34

Total

14

18

60

122

Source : Tableau effectué à partir du Guide-annuaire Rosenwald des années 1914, 1924, 1934 et 1949.


   Formées en Europe, essentiellement en France, ou en Algérie, ces femmes sont longtemps toutes « européennes », le faible taux de scolarité des « musulmanes » expliquant leur présence marginale au sein des professions médicales jusqu’à la fin de la colonisation. La première femme musulmane docteure en médecine, Aldjia Noureddine Benallègue, est diplômée en 1946. Quelques autres la suivent sur les bancs de la faculté de médecine d’Alger au cours des années 1950.

 

Prolonger la lecture sur le dictionnaire : Femmes médecins - Hôpital franco-musulman de Bobigny

Claire Fredj - Maître de conférences HDR en histoire contemporaine - Directrice de l'IDHES Nanterre

Références : 

Claire Fredj, Femme médecin en Algérie : journal de Dorothée Chellier, 1895-1899, Paris, Belin, 2015.

Jonathan G. Katz, « Françoise Legey and Childbirth in Morocco », inFrench Politics, Culture & Society, vol. 39, 2021/1, p. 34-58.

 

Pour citer cet article : Claire Fredj, « Femmes médecins (Afrique du Nord colonisée) », dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2023.

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