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Dictionnaire Politique d'Histoire de la Santé

Ayurveda

Outil de la propagande nationaliste indienne, l’Ayurveda est pourtant issu de multiples cultures.Chundu, La médecine tibétaine et ses origines divines, Peinture à l'huile sur Thangka, 1970 © Wellcome Collection (référence 47108i).

   Outil de la propagande nationaliste indienne, l’Ayurveda est pourtant issu de multiples cultures.

 

   L’Ayurveda est un système de médecine traditionnelle indienne, constitué de nombreuses branches allant de l’alimentation à la chirurgie, en passant par des méthodes de méditation. Il s’agit d’une pratique fortement ancrée dans l’hindouisme, puisque tiré des Védas, des textes religieux hindous. Selon les précepts de l’Ayurveda, le corps, comme le monde, est composé de cinq éléments (l'espace, l'air, le feu, l'eau et la terre), de trois doshas (Vāta, Pitta et Kapha), et de sept substances corporelles (le plasma, le tissu sanguin, les muscles, les tissus adipeux, la moelle épinière, les tissus reproducteurs, et une dernière substance réunissant les os et les cheveux). C’est l'équilibre ou le déséquilibre de ces éléments qui indique la bonne ou mauvaise santé de l'individu.

 

   La pratique de l’Ayurveda est issue de six textes, eux-mêmes issus d’une tradition orale antérieure. Les trois textes principaux sont Charaka Samhita, Sushruta Samhita et Vagbhata Samhita. Ces textes ont plus de 2000 ans. Toutefois, les pratiques dans la réalité sont bien différentes, et l’Ayurveda a connu de nombreuses évolutions et influences des populations qui l’entoure. Parmi ces influences, on trouve majoritairement la médecine Yunâni, une forme de médecine traditionnelle musulmane, importée dans les territoires indiens lors de la domination Moghol de l’Inde, mais également par les pratiques occidentales à partir du XIXe siècle. Ces adaptations et ces évolutions de la médecine sont rentrées dans la norme de la pratique. Cependant, lorsque les mouvements nationalistes indiens commencent à se former durant le XIXe siècle, se développe aussi l’idée que l’Ayurveda  a été détériorée par ces influences extérieures, et prend forme une glorification d'un passé médical idéalisé. Les mouvements nationalistes indiens continuent d’expliquer le déclin de la médecine traditionnelle face à la médecine occidentale par cette détérioration des pratiques ayurvédiques par ces influences extérieures.

 

   Sous la domination britannique, la crainte d’une interdiction de la pratique de l’Ayurveda règne pour ses pratiquants, et l'indépendance de l’Inde, proclamée le 15 août 1947, fait naître l’espoir chez ses défenseurs d’un regain de popularité de ces pratiques traditionnelles, qui s'il exista resta modéré. Durant le XXe siècle, le gouvernement indien met en place diverses politiques pour favoriser les pratiques ayurvédiques. Dès 1947, certains États indiens attribuent des aides financières pour le développement de cette médecine, mais ce n’est pas le cas pour tous. En 1968, le Conseil central pour la recherche en médecine indienne et en homéopathie est créé. Il faut attendre 1970 pour que l’Indian Medecine Central Council Act soit adopté et forme la première réglementation sur ces pratiques. L’essor le plus important des pratiques ayurvédiques a lieu à la fin du XXe siècle, avec le nouvel élan nationaliste frappant l’Inde. Cela mène à la création en 2014 d’un ministère des médecines et pratiques traditionnelles telles que l'ayurvéda, le yoga, l'unani, le siddha et l'homéopathie. Ce ministère est mis en place par le Premier ministre Narendra Modi, un homme au positionnement politique décrit comme nationaliste, populiste, et anti-musulman, et vise à promouvoir ces pratiques. 

 

   En parallèle de tout cela, le gouvernement indien finance durant la fin du XXe siècle et encore aujourd’hui, des universités et des établissements scolaires enseignant l’Ayurveda, que ce soit en Inde ou à l’étranger. Une réelle politique d'expansion de cette pratique à l’international est visible, via notamment des établissements d’enseignement, et c’est en cela que l’on peut parler de soft power indien. L’influence de cette médecine traditionnelle se voit dans un premier temps dans l’influence de l’Inde sur les pays limitrophes, qui pour la plupart ont une forme de médecine traditionnelle se rapprochant fortement de l’Ayurveda, notamment au Népal. L'Ayurveda se développe également à partir des années 1960, avec la naissance du New Age, dans les sociétés occidentales. Bien que ne connaissant pas une utilisation aussi importante que la médecine moderne, les pratiques ayurvédiques ont un certain succès, notamment au Royaume-Uni et aux États-Unis. Mais il s’agit de pratiques adaptées au public occidental, qui s'éloignent des pratiques traditionnelles.

 

   Le marché autour des pratiques ayurvédiques est florissant, mais l’Ayurveda est dans sa manière d'être abordée et son utilisation très variée, n’ayant parfois plus rien à voir avec les applications d’origine. Si l’authenticité de la tradition est l’argument principal pour défendre l’Ayurveda, c’est une pratique en réalité très moderne. 

 


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Mia Ramin - Le Mans Université

Références :

David HARDIMAN, “Indian Medical Indigeneity: From Nationalist Assertion to the Global Market.”, Social History, vol. 34, no. 3, 2009, p. 263–283

JEAN M. LANGFORD, “Healing National Culture.”, Fluent Bodies: Ayurvedic Remedies for Postcolonial Imbalance, Duke University Press, 2002, p. 63–96.

 

Pour citer cet article : Mia RAMIN, “Ayurveda”, dans Hervé GUILLEMAIN (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2023.



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