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Dictionnaire Politique d'Histoire de la Santé

Héroïne

L’héroïne, d’abord utilisée comme un médicament pour lutter contre différentes affections respiratoires, s’est ensuite transformée en un problème de santé publique.Enseigne publicitaire de Bayer affichée dans les pharmacies américaines, datant d'avant l'interdiction fédérale de l'héroïne en 1924.

   L’héroïne, d’abord utilisée comme un médicament pour lutter contre différentes affections respiratoires, s’est ensuite transformée en un problème de santé publique.

 

   En août 1969, une jeune fille de 17 ans est retrouvée dans les toilettes du casino de Bandol décédée d’une overdose d’héroïne. Ses bras portent de nombreuses traces de piqûres. Ce drame, très médiatisé, participe à la relance du débat concernant la consommation d’héroïne et la consommation de stupéfiants de manière générale. On peut alors parler d’une véritable panique morale. La nouvelle loi du 31 décembre 1970, relative aux mesures sanitaires de lutte contre la toxicomanie et à la répression du trafic et de l’usage illicite de substances vénéneuses, est alors adoptée pour contrer la menace qui pèse sur la jeunesse. Cependant, elle n’aura que très peu d’effets sur le nombre de consommateurs et les chiffres ne cesseront de s’accroître. L’affaire de Bandol marque donc tout à la fois le début de la diabolisation dans l’opinion publique de l’héroïne et  le début du recensement des overdoses.

 

   L’héroïne, de son nom chimique diacétylmorphine, est synthétisée pour la première fois en 1874 par l’anglais Adler Wright. Celui-ci ne voit cependant que peu d’avenir pour l’héroïne, trouvant ses effets guère intéressants. Elle est alors modifiée en 1898 par l’entreprise pharmaceutique allemande Bayer qui l’utilise pour soigner différentes affections respiratoires, dont la tuberculose, mais aussi l’addiction à la morphine, devenue un vrai problème de santé publique à la fin du XIXe siècle. Bayer décide d’appeler ce médicament « Heroin » en rapport avec le mot allemand « heroisch » qui signifie tout simplement héroïque.

 

   À partir de 1910, l’héroïne est de plus en plus recherchée pour ses fonctions non-médicales. Elle n’est plus seulement employée contre la toux mais aussi pour ses effets narcotiques, c’est-à-dire pour provoquer un assoupissement du corps ainsi qu’une diminution de la sensibilité. Le produit rejoint donc la longue liste des substances développées à des fins de lutte contre la douleur, comme la morphine et la cocaïne. En outre, avant 1914, l’héroïne était vendue librement dans les pharmacies sous forme de pilule et sans ordonnance.

 

   Mais après la Grande Guerre, l’héroïne change de statut. Dans les années 1920, étant moins chère que la cocaïne et plus facile d’accès, le marché noir de l’héroïne se développe. Bayer essaye à maintes reprises de différencier son produit de l’héroïne vendue illégalement, mais sans succès. L’héroïne devient progressivement une drogue récréative qui se diffuse partout dans le monde et plus particulièrement en Europe et en Amérique du Nord où elle apparaît dans de nombreux quartiers. À cette époque, l’héroïne est produite en grande quantité en Afghanistan ou en Birmanie et est ensuite acheminée en Europe. Pour l’Amérique du Nord, la production vient surtout de Colombie et du Mexique.

 

   Aux États-Unis, la première tentative de contrôle global de la distribution de l’héroïne date de 1914 avec la loi Harrison sur les narcotiques. Cette loi réglemente la production, la distribution et l’utilisation des opiacés dans des situations non médicales mais elle a surtout un but fiscal : permettre de générer des revenus sur ce marché. Ce qui n’arrête pas la consommation illégale d’héroïne. 

 

   Après la Première Guerre mondiale, la Société des Nations s’engage dans une campagne contre l’héroïne qui est désignée comme un problème de santé publique. En 1925, les États-Unis interdisent la fabrication, le trafic et la consommation de cette substance. Au fil des années, cette lutte devient internationale et la plupart des pays finissent par interdire l’héroïne. En 1961, la convention unique sur les stupéfiants est ratifiée par de nombreux pays. Elle a pour objectif de limiter la production et le commerce de substances interdites en établissant une liste de produits stupéfiants, rassemblant tous les psychotropes. Cette convention est aussi à l’origine de la création de l’Organe International de Contrôle des Stupéfiants en 1961, devenu opérationnel en 1968.

 

   Malgré de nombreuses interdictions, la consommation d’héroïne s’étend grâce à une multitude de sources d’approvisionnements dont la plus connue est la French Connection (l’héroïne est produite en France et est ensuite acheminée vers les États-Unis). Le travail acharné de la police française et des services américains de lutte contre la drogue conduit au démantèlement du réseau. « La marseillaise », héroïne la plus pure au monde, disparaît alors du marché clandestin.

 

   En France, l’affaire de Bandol n’a fait qu’accélérer l’action des autorités contre la consommation d’héroïne et des drogues de manière générale. Le vote de la loi du 31 décembre 1970 n’est en quelque sorte qu’un succédané de la loi anti-drogue du 12 juillet 1916, le législateur s’étant contenté de l’adapter à son époque. Elle n’a en aucun cas changé la société française et ne montre aucune volonté de repenser en profondeur la place de l’usage des psychotropes dans la société. 

 


Prolonger la lecture sur le dictionnaire : Campagnes anti drogues - cannabis (prohibition)

Léo Hoft - Le Mans Université

Références :

Michel Kokoreff, Anne Coppel, Michel Peraldi (dir.), La catastrophe invisible. Histoire sociale de l’héroïne, Amsterdam éditions, 2018.

Vincent Benso, “Le paysage médiatique des drogues à la fin des années 60”, Swaps, Santé, Réduction des risques, Usages de drogues, n°60, 2010.

 

Pour citer cet article : Léo Hoft, “Héroïne”, dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2023.



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