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Dictionnaire Politique d'Histoire de la Santé

Thalidomide

Sculpture de Marc Quinn, « Alison Lapper Pregnant », Trafalgar Square, Londres.

   Le scandale de la Thalidomide, survenu dans les années 1950-1960, met en évidence l’absence de contrôle des médicaments délivrés sans ordonnance.

   La thalidomide, de son nom commercial le Contergan, est un médicament sédatif mis sur le marché en 1957 par la société pharmaceutique allemande Chemie Grünenthal. Très rapidement, il devient le troisième médicament le plus vendu sans ordonnance en Europe. La diffusion de ce nouveau remède, prescrit aux femmes enceintes afin de calmer les nausées du matin, se répand à l’international. La forte consommation de ce tranquillisant s’explique par son accès sans prescription, tout le monde pouvant s’en procurer. 

   Le pédiatre allemand Widukind Lenz est le premier en 1961 à remarquer que toutes les mères ayant mis au monde des enfants malformés avaient un point en commun : elles avaient pris de la thalidomide. Il découvre les effets négatifs du médicament et estime le nombre de victimes à environ 3 000 enfants nouveaux nés en Allemagne. Cette question rassemble les médecins lors du colloque de pédiatrie de Düsseldorf en novembre 1961, parmi lesquels le docteur Lenz, mais aussi les docteurs Bonn, Weicker et Hungerland qui ont également signalé des enfants atteints de malformations. 

   La consommation de ce médicament est à l’origine de plusieurs types de malformations : raccourcissement des membres inférieurs et supérieurs, problèmes auditifs et de vue (strabisme), lésions sur plusieurs organes ou encore mauvais développement de la colonne vertébrale provoquant une petite taille. Le taux de survie est de 2 chances sur 3, ce qui laisse prévoir un handicap moteur. Les statistiques montrent que chez les bébés dits thalidomidiens, le taux de mortalité atteint près de 40 %, en raison de graves malformations internes. On recense entre 10 à 15 000 bébés nés avec des malformations, victimes de la thalidomide, dont environ 10 000 en Allemagne en juin 1990. Dès 1960, certains médecins font le lien entre le médicament et des effets étonnants produits par la thalidomide, notamment des risques de tératogènes. En raison d’une multiplication de cas et afin d’éviter un scandale, l’industrie Chemie Grünenthal retire le médicament du marché le 27 novembre 1961.

   Dès juillet 1962, les premières mobilisations civiles apparaissent en Allemagne. L’avocat Karl Schulte-Hillen, dont l’épouse et la sœur ont donné naissance à des enfants victimes de la thalidomide, décide de créer la première association appelée « Association fédérale des victimes de la thalidomide » pour regrouper les parents victimes du médicament. Le rôle des associations est de prémunir face aux dangers du médicament mais aussi d’améliorer le mode de vie des victimes en essayant de les rendre autonomes. L’association fédérale des victimes de la thalidomide est défendue par des avocats dont Schulte-Hillen contre la société pharmaceutique Chemie Grünenthal. Chaque pays touché par la thalidomide attaque l’entreprise, c’est le cas du Japon, des États-Unis et du Royaume-Uni. En Allemagne, après deux ans de combat, la Cour fédérale d’Aix-la-Chapelle reconnaît une faible part de responsabilité de la firme dans l’affaire. Selon cette dernière, aucun médecin prescripteur ne peut être tenu responsable d’un dommage imprévisible dès lors que celui-ci a été correctement prescrit. La Cour juge la poursuite du procès sans intérêt puisqu’un accord a été trouvé entre Chemie Grünenthal et les avocats des victimes le 18 décembre 1970. En Belgique, les accusés sont acquittés. Au Canada, les victimes sont indemnisées. En Allemagne, la société pharmaceutique verse 100 millions de deutsche mark aux 10 000 victimes et crée une association chargée de les indemniser (Fondation Contergan).  

   Un aspect mémoriel se forme peu à peu. En août 2012, Chemie Grünenthal exprime ses premières excuses à l’égard des victimes lors de l’inauguration d’un monument commémoratif à Stolberg. Cette ville est symbolique puisque l’entreprise y a été fondée. De plus, le premier bébé thalidomide découvert est né à Stolberg. Une sculpture de bronze d’une fillette malformée est bâtie en mémoire des 10 000 enfants victimes en Allemagne. De nos jours, des sculptures sont érigées en mémoire des victimes. En 2005, Marc Quinn s’inspire de l’histoire d’une femme née sans bras et aux jambes atrophiées, Alison Lapper, dont la mère avait ingéré de la thalidomide alors qu’elle était enceinte en 1965. Alison pose nue devant l’artiste alors qu’elle est enceinte de huit mois dans son studio londonien. Marc Quinn souhaite rendre hommage à la maternité et aux personnes en situation de handicap sur Trafalgar Square. Une réplique a été utilisée lors des Jeux Paralympiques de 2012 à Londres. 

   
   Le scandale de la Thalidomide est considéré comme l’un des pires échecs de la recherche pharmaceutique. Ce médicament a bouleversé la vie d’environ 15 000 enfants qui ont dû apprendre à vivre avec leur handicap. Il souligne l’importance d’un cadre réglementaire pour le médicament. En Allemagne, cette décision revient à l’Institut Fédéral des Médicaments qui est responsable de la surveillance et du contrôle des produits pharmaceutiques. En 1995 est créée l’Agence Européenne du Médicament qui a pour objectif de superviser le développement des nouveaux médicaments en Europe.

 

 

Prolonger la lecture sur le dictionnaire : Scandale Baumol - Lomidine - Asbestose 



Clémence Bouvet - Le Mans Université

Références :

Virginie Monaco, Le thalidomide : histoire et actualité, Thèse de docteur en pharmacie, Université Henri Poincaré, Nancy I, 2000.

Jean-Jacques Lefrère, Patrick Berche, « Les bébés de la thalidomide », La Presse Médicale, Elsevier, Amsterdam, 2010. 

 

Pour citer cet article : Clémence Bouvet, « Thalidomide », dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2024.



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