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Dictionnaire Politique d'Histoire de la Santé

Asbestose

L’histoire de l’asbestose illustre les difficultés de l’État à reconnaître des maladies professionnelles, entre le lobbying des industries polluantes et les problèmes de santé au travail et de santé publique causés par l’exposition à l’amiante.Photographie d'ouvrières sciant les coins des plaques de toiture en amiante dans une usine du Lancashire pendant la Première Guerre mondiale. Collection de l'Imperial War Museum.

   L’histoire de l’asbestose illustre les difficultés de l’État à reconnaître des maladies professionnelles, entre le lobbying des industries polluantes et les problèmes de santé au travail et de santé publique causés par l’exposition à l’amiante.

 

   L'asbestose est une fibrose pulmonaire causée par une trop forte exposition aux fibres d'amiante. En effet, chaque fibre d'amiante est composée de milliers de fibrilles microscopiques à la forme d'aiguille qui sclérosent les poumons. L'amiante ou asbeste est un minéral à la particularité fibreuse exploité à partir de la fin du XIXe siècle, notamment par les Empires Britannique (Canada, Afrique du Sud) et Russe. Surnommé « minerai magique » ou « or blanc » pour ses qualités réfractrices à la chaleur et à l'électricité ainsi que son coût bon marché, il est utilisé dans divers domaines de l'industrie au XXe siècle, comme l’automobile, la construction navale et le bâtiment (flocage).

 

   Les ouvriers qui manipulaient l'amiante, dépourvus de protections particulières, étaient donc fortement exposés au danger,  malgré la connaissance des industriels du caractère toxique de l’amiante. Dès la fin du XIXe siècle, le Dr Murray à Londres a observé un décès lié à l'amiante. En 1906, en France, l'inspecteur du travail, à Caen, Auribault a mis en évidence le lien entre l'exposition à l'amiante et les maladies professionnelles avec la surmortalité des ouvriers du textile de Condé-sur-Noireau (Calvados), 50 morts sont recensés. Aussi, dans l'entre-deux-guerres, de nombreux articles médicaux anglais et allemands mentionnent l'asbestose comme maladie professionnelle. Ces études ne conduisent cependant pas les entreprises de l'amiante (Eternit, Saint-Gobain, Ferodo,...) à réformer les conditions de travail de leurs ouvriers.

 

   En France, la loi de 1919 sur les maladies professionnelles ne mentionne pas l'asbestose. Il faut attendre le décret du 31 août 1950 et la création du tableau n°30 de l'Assurance Maladie pour que l'asbestose soit reconnue. Malgré cette reconnaissance, la Reconstruction d'après-guerre et les « Trente Glorieuses » (1945-1975) sont une période de forte croissance économique avec une explosion de l'utilisation de l'amiante (80% de toute l'amiante produite par l'Humanité l’est à partir des années 1960). De plus, le temps long a permis aux entreprises de l'amiante d'organiser le silence sur son danger réel, les lobbys et des médecins élaborant des études ne mettant pas en relation l'amiante aux maladies pulmonaires. Ces mêmes lobbys faisaient pression envers tous « contrevenants », tant ouvriers que scientifiques. C’est le cas du pneumologue américain Irving Selikoff qui préside à New-York, en 1964, une conférence internationale sur l'impact biologique de l'amiante, considéré comme « un homme dangereux » dont il fallait empêcher la mauvaise influence. Le silence est d'autant plus sourd que l'État français, comme tant d'autres, a une position apathique car ces entreprises sont motrices de la croissance économique nationale (plus de 5% chaque année de 1950 à 1973). Elles emploient des milliers de personnes et fabriquent des produits vitaux à l'industrie, comme l'amiante-ciment, utilisée dans la reconstruction rapide du pays, et les plaques de freins nécessaires au parc automobile en plein essor (1950 : 3 millions ; 1970 : 15 millions). L'amiante alimente le prestige national en étant utilisé dans le domaine public (EDF, SNCF, Marine nationale). 

 

   À partir des années 1970, plusieurs affaires liées à l'amiante éclatent (Jussieu  en 1975, Amisol  en 1976). L'opinion publique est désormais au courant de cette catastrophe sanitaire, les étudiants de Jussieu manifestent en 1976. Plusieurs décrets sont adoptés en 1977 et 1978 pour limiter la dose d'exposition à l'amiante, des contrôles sanitaires sont obligatoires, qui pouvaient être réalisés par les entreprises. L’application de ces décrets est donc à nuancer. Le décret de 1977 prévoit l'obligation d'un examen médical pour travailler, examen donné par les médecins de travail qui fixe les risques asbestosiques. Or, ces derniers sont jusqu'en 1986 employés par les entreprises de l'amiante ce qui pose un problème éthique. Au même moment, le Comité Permanent Amiante est créé (1982), une instance de lobbying regroupant des représentants des ministères du Travail, de la Santé, des syndicats ouvriers et des industriels. Ce comité défend l'idée que les nouvelles règles sanitaires sont suffisantes et que l’utilisation de l’amiante est indispensable à la bonne santé économique du pays. 

 

   Les années 1990 sont un tournant. Le scandale de Gérardmer (1992-1994) marque l’opinion publique. Six professeurs touchés par cette maladie décèdent. Médiatisée, cette affaire montre que le monde ouvrier n'est pas le seul touché par cette maladie. Des associations composées de chercheurs, de syndicats ouvriers dg de victimes se forment comme le Comité Anti-Amiante Jussieu et Ban Asbestos France en 1995. L'État français interdit l'usage de l'amiante en 1997. 

 

   Malgré cette interdiction, les victimes d'asbestose sont encore nombreuses. Les symptômes apparaissent en moyenne 20 ans après l'exposition. Entre 2002 et 2014, 100 000 personnes en France sont mortes de l'inhalation de l'amiante, 100 000 autres sont à prévoir entre 2014 et 2025. Actuellement, malgré des politiques de désamiantage, 95% des gares, des écoles, des bureaux, des logements et des friches industrielles contiendraient de l'amiante.



Prolonger la lecture sur le dictionnaire : Allumettier.ère.s - Sinistrose - Phosphorisme - Silicose



Arthur Corre - Le Mans Université

Références :

Annie Thébaud-Mony, Travailler peut nuire gravement à votre santé, Paris, La Découverte, 2007.

Odette Hardy-Hémery, “Eternit et les dangers de l'amiante-ciment, 1922-2006” dans Revue d'histoire moderne & contemporaine, Paris, Belin, 2009, n°56.

 

Pour citer cet article : Arthur Corre, “Asbestose”, dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2023.

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