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Dictionnaire Politique d'Histoire de la Santé

Éther

   L’éther, produit chimique anesthésique oscillant entre progrès médical et controverse sur l’addiction.

 

   L’éther est un liquide incolore, volatil et inflammable. Ce liquide peut être toxique à fortesdoses. L’éther fut découvert en 1734 par le médecin allemand Grosse en mettant en contact de l’alcool pur avec un acide.

 

   Durant l’année 1775, le chimiste anglais Sir Humphry Davy, menait des expériences devant des étudiants sur le protoxyde d’azote et l’éther. L’étudiant en médecine Crawford W. Long observa ses camarades utiliser de l’éther en l’appliquant sur un linge, puis en respirant les vapeurs du liquide aux effets euphorisants. Lors de ses observations, il remarqua alors que les étudiants sous effets des vapeurs semblaient désinhibés. Comme sous les effets de l’alcool, à la différence que lorsqu’ils tombaient ou se blessaient, ils ne paraissaient pas ressentir de douleurs. Long continua ses recherches sur les propriétés du liquide. En 1842, il réalisa la première opération chirurgicale sous anesthésie, en utilisant le gaz émanant de l’éther. À partir de ce moment et jusque dans les années 1930, l’éther fut utilisé comme anesthésique. Lors des anesthésies, les médecins plaçaient une éponge imbibée d’éther dans un compartiment. Un tube le reliait à un masque, qui était placé sur le visage du patient. Celui-ci s’endormait après quelques minutes d'inhalation.

 

   La démocratisation de l'éther engendra des dérives quant à son utilisation initiale. L’éther devient une alternative ou un complément à l’alcool. C’est-à-dire que la population avait accès à des flacons d’éther dans des pharmacies et drogueries sans ordonnance. L’utilisation du liquide était alors chose commune. Il était dilué dans de l’alcool ou dans de l’eau, car corrosif, donc nocif pour le corps, ou bien inhalé pour l’effet psychotrope qu’il procurait. Plusieurs ouvrages du XIXe siècle font mention (dans différents pays comme l’Allemagne, la France et l’Angleterre) de l’existence de nuages de vapeurs flottant au-dessus des villes. Si la chose apparaît difficile à croire, l’histoire n’en souligne pas moins l’importance prise par la consommation omniprésente de l’éther dans la société du XIXe siècle. D’autres témoignages plus tardifs stipulent que de l’éther était distribué à des soldats allemands pour les motiver à monter à l'assaut lors de la Première Guerre mondiale.

 

   Ainsi, l’utilisation de l’éther engendra des addictions qui se répandirent progressivement dans la société. En 1877, la notion d'éthérisme fut adoptée. Elle impliquait l’utilisation chronique et volontaire du produit à des fins récréatives. Cette pratique révélait une dépendance psychologique et physique. Quelques années plus tard, la notion évolua en éthéromanie, ajoutant aux critères de l’éthérisme, l’usage déraisonnable du liquide en raison de l’accoutumance. Cette évolution du suffixe « isme » en « manie » induisait la notion de troubles neurologiques lors d’une utilisation répétitive de l'éther.

 

   À partir de ce moment, certains députés réagirent pour avancer la notion de danger de sécurité nationale. Pour les raisons citées précédemment, il y a donc une évolution sur la perception de ce liquide au sein de la société. L’éther passe d’un composé médicinal et récréatif à une drogue nocive. Pour contrecarrer cette évolution néfaste, plusieurs textes de lois vont être proposés, notamment par Félix Chautemps, député de Savoie. Un de ses textes visait à « interdire la vente, la circulation et la fumerie de l’opium en France et dans les colonies françaises, ainsi que la vente, la circulation et l’emploi, sans prescription médicale, de la morphine, de la cocaïne et de toutes substances analogues », ce texte n’a pas été retenu. En 1913, Jean Colly, homme politique français, propose une loi visant à « réglementer la vente des toxiques : morphine, opium, éther, cocaïne, haschisch ». Cependant, la commission d’hygiène publique la refusa estimant que l’usage de l’éther était indispensable dans l’industrie pharmaceutique. Par la suite, l’éther fut reconnu comme une substance vénéneuse, dans la loi du 12 juillet 1916. Cette loi classe en trois catégories les différentes substances vénéneuses, dont les stupéfiants, auxquels appartient l’éther. Le but était de lutter contre « le développement imprévu de la toxicomanie ». En réalité, elle régule la circulation et l’usage de l’éther et des autres stupéfiants classés. C’est seulement le 5 mai 2003 que le gouvernement français prend la décision de réglementer l’utilisation générale de l’éther en s’appuyant sur le code de santé publique, article L. 5312 - 1.

Prolonger la lecture sur le dictionnaire : Cannabis (prohibition) - Cannabis 1916 - Auto-expérimentation 

Prudence Capelle - Le Mans Université

Références : 

Jean Dugarin, Patrice Nomine, « Toxicomanie : historique et classifications », in Histoire, économie & société, Paris, Armand Colin, 1988.

Jean-Jacques Yvorel, Les poisons de l'esprit : drogues et drogués au XIXe siècle, Paris, Quai Voltaire, 1992.

 

Pour citer cet article : Prudence Capelle, « Éther », dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2024.

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