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Dictionnaire Politique d'Histoire de la Santé

Hôpital d’Ellis Island

En situation d’avant-poste, l’hôpital d’Ellis Island a été un lieu emblématique des débuts de la santé publique des États-Unis.US Marine Hospital #43, Ellis Island, N.Y. 1. on admission to hospital 2. men's medical ward 3. The porch, men's psycho. ward.

En situation d’ avant-poste, l’hôpital d’Ellis Island a été un lieu emblématique des débuts de la santé publique des États-Unis.

 

   Située sur une île en face de New-York, la station d’Ellis Island a eu une place unique dans l’histoire de l’immigration aux États-Unis. Elle a constitué une frontière réelle pour les immigrants, essentiellement européens à la fin du XIXe siècle. Dans ce contexte d'immigration massive, la question des flux migratoires devient une question vive dans les débats politiques aux États-Unis. Un dispositif législatif est mis en place. La loi sur l'immigration de mars 1891 officialise le contrôle fédéral et l'instauration d'un examen médical pour les populations entrantes. La médecine s'est alors trouvée impliquée dans de nouveaux processus d'inspection car les contrôles engageaient de façon incontournable la dimension des corps: examen médical individuel, marquage à la craie sur les vêtements si une anomalie était relevée, éventuelle séparation des enfants et des parents, des femmes et des hommes. 

 

  Le service d’inspection médicale, créé à l’occasion de cette loi, est divisé en trois branches : la division d’embarquement qui contrôle, sur les bateaux, les passagers qui voyagent en cabine ; la ligne qui contrôle, sur la station d’immigration, les passagers de l’entrepont (steerage) et l’hôpital. Les médecins qui n’étaient pas attachés aux processus d’inspection se consacraient, au sein de l’institution, à des missions de soins et de prévention de la propagation des maladies contagieuses.

 

   Le complexe hospitalier a été construit en deux temps sur le côté opposé de la station d’immigration d’Ellis Island : le premier hôpital (Hôpital Général) a ouvert ses portes en mars 1902 et le deuxième (Hôpital des maladies contagieuses) en juin 1910. Le lieu de construction du deuxième hôpital a été déterminé par le médecin-chef des services de santé publique (Surgeon General) selon les critères suivants : à une distance de 400 pieds de l’hôpital général avec 200 pieds d'eau claire entre les deux îles. Cette distance doit permettre de limiter toute forme de contagion. Il fallait en effet faire face aux épidémies générées par le confinement des immigrants dans des bateaux plusieurs semaines durant.

 

   Les premières mesures de dépistage prennent en compte l’épidémiologie des maladies transmissibles connues. La mise en service des pavillons des maladies contagieuses en 1911 s’est traduite par une baisse importante de la mortalité, celle-ci étant auparavant en grande partie liée aux temps d’attente pour les transferts vers les hôpitaux périphériques. Parmi les maladies les plus redoutées, en termes de contagiosité et de mortalité, il y a la rougeole, ce qui explique le nombre de pavillons dédiés à cette maladie. Le complexe hospitalier consacré aux maladies infectieuses est composé de huit bâtiments consacrés essentiellement à la rougeole, la scarlatine, la diphtérie, la coqueluche, la varicelle et de trois bâtiments d’isolement (Isolation wards) pour la tuberculose et les maladies infectieuses associées. Des consignes très strictes existent concernant les mesures de désinfection et les mesures barrières.

 

   Il semblerait qu’aucune épidémie sur le sol américain ne soit pourtant apparue en lien avec un immigrant ayant transité par Ellis Island. Très peu de professionnels travaillant sur l’île ont d’ailleurs visiblement contracté de maladie. Seul un interprète serait décédé en 1915 en lien avec la tuberculose.

 

   La loi de 1891 exclut, entre autres, les personnes en incapacité de prendre soin d’elles-mêmes et, surtout, susceptibles de devenir une charge publique. Il s’agissait d’écarter ces personnes quelle que soit la cause de l’invalidité. L’un des facteurs déterminants pour apprécier les différentes situations était l’aptitude physique au travail. Celle-ci pouvant être limitée aussi par une déficience ou une maladie mentale, l’évaluation de l’état psychique des immigrants a pris une importance croissante au fil du temps.

 

   Ne disposant pas de données théoriques de référence, certains médecins se sont dirigés vers des mesures considérées comme objectives telles que les mesures anthropométriques et les tests d’évaluation de l’intelligence, introduits à Ellis Island autour de 1912. À partir de 1913, d’autres médecins attachés à l'hôpital se sont intéressés aux conditions de l’évaluation de l’état psychique des immigrants qui arrivaient très éprouvés par leurs voyages. La nécessité d’aménager un espace de transition avant d’envisager toute approche clinique s’est très rapidement imposée.

 

  C’est le Dr Thomas Salmon qui a été, dès 1905, à l’initiative de la construction d’un pavillon de psychiatrie séparé des autres bâtiments et qui a proposé un temps de repos avant la réalisation des évaluations. Ouvert en 1907, ce pavillon gardera ses fonctions de soins et d’évaluation jusqu'à la Seconde Guerre mondiale. Avant son implication à Ellis Island, le Dr Salmon avait été recruté par le Willard State Hospital pour enquêter sur une épidémie de diphtérie au sein d’une population de patients souffrant de troubles mentaux. 

 

   Les tests psychométriques ont été dans un premier temps accueillis avec intérêt par les médecins de l'île qui ne disposaient pas d’outil spécifique pour apprécier le niveau d’intelligence, mais les résultats produits par leurs utilisations ont été fortement discutés. Certains médecins ont considéré que ces tests n’étaient pas applicables aux immigrants compte tenu des conditions de vie très différentes dans lesquelles ils avaient vécu avant leurs voyages. Les références culturelles étaient différentes et les examens réalisés avec l’aide d’un interprète. Il en résultait de fait des biais aussi bien dans le recueil d’informations que dans l’interprétation. Certains médecins travaillèrent à développer d’autres moyens d’évaluer les capacités mentales notamment au moyen de tests non verbaux d’intelligence requérant seulement la compréhension de la langue pour les instructions. 

 

   L’hôpital d’Ellis Island a fermé ses portes en 1954. Il a été partiellement ouvert au public en 2014. Il est toujours désaffecté bien que des travaux de restauration soient en cours. C’est dans la dualité de cette visibilité que ce lieu prend sa force et son humanité. La confrontation à cet espace et aux traces de la vie quotidienne qui y a existé permet d’élargir les représentations qui se sont construites au fil du temps sur Ellis Island. 

 

Prolonger la lecture sur le dictionnaire : Valises du Willard State Hospital (New York) - Quarantaine - Lazaret - Test d'intelligence

Dominique Dal Bo-Rohrer - Médecin psychiatre

Références : 

Alfred Reed, "The Medical Side of Immigration", Popular Science Monthly, 80, April 1912.

John Richardson, Howard Andrew Knox: Pioneer of Intelligence Testing at Ellis Island, Columbia University Press, 2011, p. 180. 

 

Pour citer cet article : Dominique Dal Bo-Rohrer, "Hôpital D'Ellis Island", dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2023.

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