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Dictionnaire Politique d'Histoire de la Santé

Oestrogène

Les hormones sexuelles deviennent dès le XXe siècle des outils de contrôle du corps des femme au sein de la société.Boîtes de Distilbène de 1968 (Gauche : boites de comprimés de 5mg ; Droite : boites de comprimés de 25mg). (https://www.francebleu.fr/distilbene-40-ans-plus-tard-toujours-des-consequences- 1369914724)Les hormones sexuelles deviennent dès le XXe siècle des outils de contrôle du corps des femmes au sein de la société.

 

   Dès le XXe siècle, le corps humain est étudié par l’anatomie comparative afin de démontrer des différences naturelles entre les hommes et les femmes. C’est dans ce cadre qu’émerge l’intérêt pour les hormones sexuelles, en particulier pour l’oestrogène, hormone sécrétée par l’ovaire, découverte en 1923 par Edgar Allen et Edward A. Doisy. L’intérêt pour ces molécules excède rapidement les simples enjeux scientifiques.

 

   Les scientifiques deviennent, au début du XXe siècle, les artisans d’un contrôle social des femmes. En 1913, le zoologiste Walter Heape affirme que les hormones sexuelles féminines affectent non seulement les organes sexuels mais également l’ensemble du corps humain défendant ainsi l’idée d’un déterminisme sexuel. Cette sexualisation du biologique, en particulier à travers le cas des hormones, se fonde sur des représentations traditionnelles de la place des femmes dans la société. Se renforce dès lors une classification binaire du vivant entre mâle ou femelle. Les ovaires deviennent un élément central dans l’explication du fonctionnement du sexe féminin, mais aussi du comportement des femmes, renforçant l’idée de leur infériorité par rapport aux hommes. La féminité est ainsi définie par ses fonctions naturelles, ces dernières contraignant les femmes à adopter un fonctionnement cyclique et à faire face aux instabilités hormonales marquées par les pertes menstruelles. L’étymologie du terme oestrogène provient elle-même de cette vision cyclique, puisqu’il est issu du terme oestrus, qui désigne la période d’ovulation. 

 

   Ces idées sont reprises par des spécialistes tel que le chirurgien Alexis Carrel, prix Nobel de physiologie et de chirurgie en 1912 et partisan de la politique eugéniste de l’Allemagne nazie. Dans son ouvrage L'Homme cet inconnu, publié en 1935, il affirme l’importance des hormones dans le développement de la personnalité d’un individu. Les oestrogènes sont alors caractérisés comme des « facteurs de différenciation » entre les sexes. A partir de ces affirmations, les œstrogènes et leurs conséquences sur le corps des femmes sont utilisés dans les débats politiques portant sur le statut des femmes afin de justifier leur domination. Alexis Carrel défend par exemple l’absence du droit de vote des femmes en soulignant leur instabilité hormonale. 

 

   Ces conceptions mènent à une association directe entre les comportements des femmes et leurs hormones. Elles s’accordent avec l’émergence de la pratique de la gynécologie. D’après l’historienne Ilana Löwy, la discipline est utilisée afin de mieux comprendre le fonctionnement du sexe féminin et de ses hormones, et de mieux contrôler ses « défaillances ». L’émergence de ce domaine est une nouvelle fois assimilée à une preuve de la faiblesse féminine, la gynécologie ne possédant pas d’équivalent masculin à ce moment-là. Cette discipline permet, en outre, à ses praticiens d’observer et même de prélever les hormones féminines et de favoriser le développement des recherches autour de leurs vertus médicales. En effet, les oestrogènes sont dans un premier temps perçus comme un stabilisateur du fonctionnement cyclique des femmes. Progressivement, les scientifiques attribuent aux hormones un grand nombre d’effets bénéfiques qui attirent les laboratoires pharmaceutiques. Afin de répondre à cette demande, les scientifiques entreprennent de synthétiser les oestrogènes avec la découverte du diéthylstilbestrol (DES) en 1938. 

 

   La synthétisation de l’oestrogène participe dès lors à la médicamentation de l’hormone, ce qui entraîne  de nombreuses controverses durant les XXe et XXIe siècles. C’est le cas de celle autour de l’utilisation du Distilbène. Cette hormone de synthèse a été prescrite à plus de 200 000 femmes enceintes entre 1948 et 1977 afin de prévenir les fausses couches. Or, les enfants, et en particulier les filles, présentent une proportion plus importante de malformations génitales, cancers du col de l’utérus, du vagin et du sein, ainsi que d’infertilité. Bien que minimisés au départ par les médecins gynécologues, qui pointent la méconnaissance des femmes concernées, les effets secondaires négatifs du Distilbène aboutissent à l’interdiction de sa prescription en France en 1977, 6 ans après les Etats-Unis.

 

Prolonger la lecture sur le dictionnaire : Avortement - Stérilisations masculines - Andrologie

Colombe Doiteau - Le Mans Université

Références : 

SINDING Christiane, Le sexe des hormones : l’ambivalence fondatrice des hormones sexuelles, Cahier du genre, 2003.

GAUDILLIERE Jean-Paul, La fabrique moléculaire du genre : hormones sexuelles, industrie et médecine avant la pilule, Cahier du genre, 2003.



Pour citer cet article : Colombe Doiteau,  « Oestrogène », dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2023.

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