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Dictionnaire Politique d'Histoire de la Santé

Paiement des soins (Afrique)

L’histoire contemporaine des politiques de santé en Afrique montre que les organisations internationales ont influencé la généralisation du paiement direct de la part des patients dans les hôpitaux mais il avait déjà été imposé durant la colonisation française. Auteur inconnu, Photographie, Hôpital principal de Dakar, 1951.

 L’histoire contemporaine des politiques de santé en Afrique montre que les organisations internationales ont influencé la généralisation du paiement direct de la part des patients dans les hôpitaux mais il avait déjà été imposé durant la colonisation française. 

 

   Peu de temps après la décolonisation, l’Organisation mondiale de santé (OMS) a organisé des conférences pour réorienter les services de santé vers les soins de santé primaires alors que la colonisation française s’était surtout reposée sur la construction de grands hôpitaux dans les centres urbains. Une politique dénoncée par André Gautier-Walter lors de sa « croisière noire de la santé » en 1950. Puis, face au manque d’investissement des États dans la santé, l’OMS, l’UNICEF et la Banque mondiale leur ont conseillé dans les années 1980 de généraliser le paiement des actes par les malades lorsque ceux-ci consultaient les établissements de soins. Avec cette évolution, nous sommes au cœur d’une marchandisation des soins mue par l’idéologie néolibérale de la santé. 

 

   Mais qu’en était-il durant la période coloniale française alors que la pratique privée des médecins (militaires) coloniaux (payés par l’Etat) dans les hôpitaux était acceptée ? 

 

   Il faut d’abord préciser que le secteur de la santé n’était pas une priorité budgétaire de l’État colonial. Le principe était de demander aux territoires de financer son personnel et ses structures de santé. En 1896, l’administration coloniale avait d’ailleurs déjà demandé au Sénégal un rapport sur les « économies susceptibles d’être réalisées dans les dépenses du service hospitalier ». Dès la fin du XIXe siècle, des malades qui n’étaient ni militaires, ni fonctionnaires, ni indigents (le statut de ces derniers devait être prouvé par une procédure bureaucratique longue et aléatoire), pouvaient être hospitalisés en payant. Ils étaient nommés par l’administration des « particuliers à leurs frais » (PALF). Pour les autres, les budgets coloniaux ou locaux payaient pour eux en remboursant les hôpitaux sur la base de tarifs régulés et calculés en fonction des catégories. Une ségrégation entre les européens et les africains était organisée. Ils n’avaient pas droit aux mêmes salles d’hospitalisations, aux mêmes repas, aux mêmes services. Aucun européen n'était installé dans les salles de 4 ou 5ème catégorie et très rares étaient les africains dans les salles de 1ère catégorie. En décembre 1939 à l’hôpital de Saint Louis (Sénégal), les personnes dont les noms avaient une consonance sénégalaise représentaient 7,69% des patients de 1ère catégorie mais 100% de la 5ème. 

 

   La catégorie des particuliers à leurs frais (PALF), qui sont aujourd’hui la majorité des patients en Afrique de l’Ouest, a donc toujours existé mais dans des proportions très variables selon les pays et les hôpitaux. Entre 1945 et 1950 à l’hôpital Principal de Dakar, ils représentaient entre 12% et 20% des journées d’hospitalisation et de 18% à 30% du budget total. La liste des services où des paiements sont demandés aux patients s’allongeaient au fur et à mesure des années dans cet hôpital. Parmi l'ensemble des actes facturés à l'hôpital (les cessions), les plus vendus sont les services de radiologie et de chirurgie gynécologie. En revanche, à l’hôpital central Africain de Dakar, essentiellement destiné aux « indigènes », les PALF ne représentaient que 2,7% du total des frais de traitement en 1945. De même, à l’hôpital de Saint-Louis (Sénégal) en 1951, les PALF ne représentent que 2,9% du budget. A Kayes (Mali), les PALF représentent 0,25% du total des journées d’hospitalisation en 1952 et 7% des officiers ont payé leur hospitalisation contre seulement 0,16% des « indigènes ». 

 

   Dans la majeure partie des cas, ces PALF devaient cependant payer une caution au moment de leur hospitalisation. A l’Hôpital central indigène de Dakar, l’administration demandait de payer 15 jours de caution. Si les patients ne payaient pas à leur sortie, elle faisait tout pour pouvoir recouvrer ses frais. Par exemple, elle mobilisa la police pour trouver comment faire payer un homme qui a été pris en urgence à cause d’une blessure grave par balle en 1918. De plus, des privilèges étaient parfois accordés. Lorsque le grand marabout El Hadj Malick Sy dû se rendre à l’hôpital de Saint-Louis pour se faire opérer de la cataracte en 1913, l’Administrateur en chef expliquait au Gouverneur qu’« il faudrait aussi que l'opération ne lui coûtât rien pas plus que les soins qui en découleront. Nous ferions là de la bonne propagande en faveur de nos intérêts ». En 1926, l’administration a offert une réduction de 30% aux membres du clergé et aux missionnaires lorsqu’ils payaient leurs frais d’hospitalisation.

 

   Qu’en était-il des paiements aux praticiens traditionnels ? Peu d’études y sont consacrées. Un article de 1905 écrit par un médecin des troupes coloniales mentionne que chez les Bambara (Mali), le « médecin » réclamait des honoraires selon la richesse du client. Il évoque un taux moyen de 30 à 50.000 cauris (coquillages) et « parfois jusqu’à la valeur d’une vache (126 à 150 francs) », qui pouvait être donnée en nature. 

 

   Ainsi, le fait de demander à des malades de payer les soins lorsqu’ils se rendent dans un hôpital n’est pas une politique récente. Durant la période coloniale française en Afrique, au-delà d’un manque de ressources et d’investissements pour le système de santé, les instruments politiques de l’idéologie (néo)libérale étaient déjà en place à des degrés divers.   

 

Prolonger la lecture sur le dictionnaire : Femmes médecins (Afrique du Nord colonisée) - Psychiatrie coloniale

Valéry Ridde - Directeur de recherche, IRD (CEPED/UP) France; ISED/UCAD Sénégal

Références

Clark, Hannah-Louise. « The Islamic Origins of the French Colonial Welfare State: Hospital Finance in Algeria », in European Review of History , n°28 (5‑6), 2021, pp. 689‑717. 

Ngalamulume, K. J. Colonial pathologies, environment, and Western medicine in Saint-Louis-du-Senegal, 1867-1920, New York, Peter Lang, 2012.

 

Pour citer cet article : Valéry Ridde, « Paiement des soins (Afrique) », dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2023.

 

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