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Dictionnaire Politique d'Histoire de la Santé

Psychothérapie institutionnelle

 À la Libération, de jeunes psychiatres français cherchent à réformer le système psychiatrique en réaction à l’hécatombe ayant eu lieu dans les asiles français durant l’Occupation, marquant la naissance de la Psychothérapie institutionnelle.Image d’archive de l’hôpital de Saint-Alban-sur-Limagnole. “Les Heures Heureuses”, film de Martine Deyres (Les films du tambour de soie), Archives de Francesc Tosquelles.

   À la Libération, de jeunes psychiatres français cherchent à réformer le système psychiatrique en réaction à l’hécatombe ayant eu lieu dans les asiles français durant l’Occupation, marquant la naissance de la Psychothérapie institutionnelle.

 

   La Psychothérapie institutionnelle est un mouvement psychiatrique qui trouve son origine dans l'œuvre réformatrice accomplie par de jeunes psychiatres - Georges Daumezon, Henri Ey, Paul Balvet, François Tosquelles, les époux Le Guillant, Paul Sivadon - pendant l'Occupation puis à la Libération. Nommé ainsi pour la première fois en 1952 par Georges Daumezon et Philippe Koechlin, l’idée directrice de ce mouvement est de « soigner l'hôpital », c'est-à-dire de remettre en cause le modèle asilaire traditionnel qui s'apparente à du gardiennage afin de créer un lieu sain où il est possible de soigner correctement la folie. Cette transformation du modèle asilaire s’explique par la mise en lumière à la Libération de son inopérance, ayant entraîné la mort par inanition d’environ 45 000 malades, par comparaison avec la sous-mortalité dans des institutions comme Saint-Alban qui ont cherché à ouvrir l’hôpital sur l’extérieur. Ce motto entraîne deux évolutions dans la gestion de l'établissement psychiatrique. Cela implique d’une part une revendication par le médecin du contrôle total de l'établissement, puisque la gestion appartient au domaine du soin si l'on suppose que l'hôpital est un agent thérapeutique. D’autre part, un travail sur les institutions est requis afin qu’elles soient les moins aliénantes possibles, tant pour les malades que pour le personnel lui-même. Un effort permanent d’analyse des conditions de travail, de soins et des rapports sociaux entre chaque individu de la clinique est donc nécessaire. 

 

   Cette approche conceptuelle de la psychiatrie gouverne alors la mise en place de pratiques thérapeutiques spécifiques. La première d'entre elles consiste à développer des activités de psychothérapies collectives, communément appelées sociothérapies, à partir des années 1940. Ces techniques collectives existent en réalité depuis le XIXe siècle dans les asiles et surtout à partir du XXe siècle avec l'expérience d'Henri Colin qui crée des ateliers fermés pour malades difficiles à Villejuif en 1910. Il en est de même pour le travail des malades, qui est une pratique largement acceptée à la veille de la Seconde Guerre mondiale dans le monde médical. Toutefois, ces espaces de travail restent souvent dans le giron de l'administration et ne sont pas réellement considérés comme des techniques médicales à part entière, ce que vont contester les tenants de la psychothérapie institutionnelle. En effet, selon eux, les ateliers et le travail des patients doivent s’inscrire dans le développement d’une vie en communauté à l’intérieur de l’hôpital, par l’intermédiaire de clubs thérapeutiques. Ces derniers, comme celui séminal de Saint-Alban créé en 1942, ont pour but d’offrir un lieu d’existence et d’autonomie pour les patients afin de les réadapter socialement et lutter contre la dimension aliénante de l’institution psychiatrique. Toutefois, cet attrait pour les psychothérapies collectives – renforcé par les expériences des années 1930 et 1940 de Hermann Simon en Allemagne ou de Bion et Rickmann en Angleterre durant la Guerre – ne signifie pas que les jeunes psychiatres se détournent des nouvelles techniques biologiques de choc – cure de Sakel, électrochocs – qui ont induit un nouvel espoir thérapeutique dès l'Occupation. La psychothérapie institutionnelle cherche néanmoins à créer un projet alternatif dans lequel ces techniques collectives et biologiques co-existeraient.

 

   Le travail sur le milieu ne se traduit pas uniquement par l'utilisation de ces nouvelles techniques médicales, mais aussi par un souci de réorganisation du travail psychiatrique. Le rôle thérapeutique des infirmiers est affirmé avec leur participation active aux différentes thérapies ainsi que leur intégration dans une équipe médicale marquée par le développement des réunions. Ces dernières tranchent avec la gestion traditionnellement hiérarchique du personnel médical, où le médecin a peu de contacts directs avec son service. Lieu de pédagogie, d'information, d'organisation : la réunion possède un caractère polymorphe qui la rend particulièrement apte à transformer les institutions psychiatriques et à former les infirmiers psychiatriques à leur rôle thérapeutique.

 

   Ce socle de pratiques et d'idées directrices ne constitue pas pour autant une théorie médicale unifiée. L'hétérogénéité de la psychothérapie institutionnelle apparaît au grand jour à partir des années 1950 avec l'apparition de praticiens fortement engagés dans les deux mondes de la psychiatrie et de la psychanalyse, dont l'activité amène à redéfinir les frontières des deux disciplines. La question de l’usage de la psychanalyse, ainsi que du rôle psychothérapique des infirmiers psychiatriques, aboutit à un premier schisme dans le groupe de Sèvres qui regroupe, entre 1957 et 1959, les principaux réformateurs de la psychothérapie institutionnelle. Ce dernier marque l’échec du groupe à produire une théorie unifiée et la fin de la première période du mouvement. Le nom de psychothérapie institutionnelle perdure néanmoins, bien qu’il recouvre à partir de 1960 des pratiques psychiatriques différentes à forte connotation psychanalytique : celles de la « psychothérapie institutionnelle seconde manière » (Robert Castel). Celle-ci s’institutionnalise à travers la création du GTPSI en 1960. Jusqu’en 1966, les psychiatres et psychanalystes de ce groupe – plus restreint que celui de Sèvres - cherchent à produire une théorie à orientation psychanalytique de la psychothérapie institutionnelle.



Prolonger la lecture sur le dictionnaire : Surmortalité asilaire - Révolution tranquille - SPK

 



Mathis Lorenzo - Le Mans iuniversité - Temos CNRS 9016

Références

Nicolas Henckes, « Le nouveau monde de la psychiatrie française. Les psychiatres, l’Etat et la réforme des hôpitaux psychiatriques de l’après-guerre aux années 1970 », Thèse de doctorat, EHESS, 2007.

Mathis Lorenzo, « Des fous et des normopathes. La clinique de La Borde : une psychiatrie politique (1946-1986) », Mémoire de master, École Normale Supérieure Paris-Saclay, 2020.

 

Pour citer cet article : Mathis Lorenzo, "Psychothérapie institutionnelle.", dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2023.

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