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Dictionnaire Politique d'Histoire de la Santé

Peste de Marseille (1720-1722)

 

Entre 1720-1722, une partie de la Provence est ravagée par la peste de Marseille. Cette épidémie fait figure de crise politico-sanitaire majeure pour la période moderne : entre le développement d’un dispositif policier nouveau et la mise en place de systèmes de quarantaine.Anonyme, Vue du port de Marceille prise de l’Hôtel de Ville dessiné du temps de la peste en 1720, estampe, v.1750.

   Entre 1720-1722, une partie de la Provence est ravagée par la peste de Marseille. Cette épidémie fait figure de crise politico-sanitaire majeure pour la période moderne : entre le développement d’un dispositif policier nouveau et la mise en place de systèmes de quarantaine. 

 

   Largement étudiée, l’épidémie de peste qui se déclencha à Marseille à l’été 1720 signe l’une des fins possibles de la seconde pandémie de peste bubonique, débutée en 1347-1348. Il s’agit également de la première mobilisation à une si grande échelle de l’armée royale - composée des réserves de soldats mises en place lors du règne guerrier de Louis XIV - avec pour conséquence le cantonnement de la maladie au sud de la France. Le déploiement des troupes - 9 000 hommes pour le premier cordon sanitaire autour de Marseille ; 36 000 pour le second de l’été 1721- fut complété par la construction d’un mur de pierres sèches isolant la Provence, une partie du Languedoc et du Comtat Venaissin. 120 000 morts sont à déplorer suite au passage du fléau, dont 50 000 selon les plus hautes estimations pour le seul territoire marseillais – ce qui correspond à un tiers de la population provençale et la moitié de la population marseillaise.

 

   La peste de Marseille est à l'origine de la mise en place d’un dispositif militaro-policier inédit, piloté pour la première fois par l’État royal, destituant en partie les pouvoirs locaux (municipalités, parlement de Provence) et qui participe de la professionnalisation progressive des polices urbaines tout au long du XVIIIe siècle. Les commandants militaires qui occupent la tête des villes atteintes bénéficient de plein-pouvoirs provisoires, notamment en matière de justice. Intra-muros, près de 300 commissaires temporaires – en plus des quelques 146 ordinaires – sont recrutés et déployés pour assister les garnisons royales et la police municipale dans les différentes tâches de gestion de l’épidémie.

 

   Le temps de peste correspond à une surveillance accrue des populations : outre les recensements post-pics épidémiques de la totalité des habitants afin de différencier les morts des vivants, l’on note l’existence d’anciennes formes de « fichage » à l’aide de registres spécifiques. Celles-ci concernent les marginalités de l’époque moderne considérées comme des groupes à risques plus à même de véhiculer le mal, du fait de leur mobilité, de leurs métiers ou conditions, ou encore de leurs pratiques sociales et/ou sexuelles : mendiants et vagabonds ; forçats et galériens ; femmes accusées de débauche ou prostitution ; fripiers et fripières ; étrangers à la cité et au Royaume. Suite à la crise sanitaire, la création en août 1723 d’une charge d’inspecteur de police, sur le modèle parisien, est effective une année, tandis que les différentes procédures entérinées à l’égard des étrangers et des logeurs perdurent tout le siècle, à Marseille comme dans d’autres cités pourtant non atteintes par la peste (Besançon, Bordeaux, Toulouse).

 

   Le contrôle spatial de la cité et de son terroir, qui permet de circonscrire l’épidémie en l’absence de traitements médicaux concluants, est décliné à différentes échelles intra-muros (maisons individuelles, rues, quartiers). Les dispositifs de quarantaine qui touchent le corps individuel des pestiférés et le confinement pour les familles des malades sont repris et amplifiés selon la virulence de la maladie, avec défense de circuler sans « bullettes de santé » entre les différents espaces de la cité et mise en place de divers procédés visant à faire respecter la proxémie entre les habitants (fermeture des églises, écoles et lieux publics ; défense de se regrouper ; instauration de barrières entre les clients et les marchands pour limiter les échanges). 

 

   Au cœur de ces mesures sanitaires, le pestiféré avéré ou supposé est spatialement inscrit dans une « exclusion inclusive », si l’on s’autorise un détournement de différents écrits de Michel Foucault sur la question. Le réseau d’hôpitaux et de maisons de convalescence mis en place et qui dessert l’ensemble de la cité phocéenne accentue en partie ce fait, tout en permettant de souligner la dimension thérapeutique de l’évènement épidémique.

 

   En effet, malgré un bilan funeste qui avoisine une mortalité que peu de pestes de l’époque moderne ont atteint, des expérimentations par le corps médical furent menées, aboutissant à une meilleure connaissance de la maladie. Les observations empiriques faites sur les malades par le médecin marseillais Jean-Baptiste Bertrand, ou encore les expériences sur la bile des cadavres effectuées par le montpelliérain Antoine Deidier, permettent de souligner la contagiosité de la peste, même si l’ensemble du corps médical ne souscrit pas encore unanimement à leurs thèses. La crise sanitaire est également productrice de techniques prophylactiques permettant la désinfection de la cité entière : pour que celle-ci puisse de nouveau rouvrir ses portes au reste du monde (autorisé seulement au début de 1724), elle doit avoir été entièrement purgée et nettoyée, en appliquant à l’ensemble des biens et habitations les méthodes en vigueur dans les enceintes des lazarets.

 

   La créativité dont font preuve les habitants pour survivre à ces temps de grande mortalité se lit en outre dans les différentes tactiques qui émergent pour continuer de maintenir un lien social (communiquer à distance en utilisant des espaces de seuils) et dans l’usage d’instruments ou de procédés visant à diminuer le risque élevé de contagion (pomme de senteur sous le nez ; vêtements en toile cirée ; baguettes ou pincettes pour l’extrême-onction ou différentes opérations chirurgicales ; utilisation extensive du vinaigre).

 

   Plus généralement, la peste de Marseille est initiatrice à la fois d’écrits mais aussi d’images réalisées par les différents témoins (voir les tableaux de Michel Serre), qui peuvent également servir à justifier l’action politique des dirigeants de la ville, notamment lorsque celle-ci est critiquée d’un point de vue tant institutionnel que populaire. Certains rites adoptés au XVIIIe siècle comme le vœu de la peste perdurent aujourd’hui, démontrant une mémoire qui se transmet toujours, au travers notamment de la toponymie marseillaise.

 


Prolonger la lecture sur le dictionnaire : Lazaret- Quarantaine - Livourne 1804

 

Fleur Beauvieux - Chercheuse associée au LPED

Références : 

Charles Carrière, Marcel Courdurié, Ferréol Rebuffat, Marseille ville morte. La peste de 1720, Autre Temps Éditions, 2008 (1e éd. 1968).

Musée d’Histoire de Marseille & Collectif, Marseille en temps de peste. 1720-1722, Éditions Snoeck, 2022.

 

Pour citer cet article :  Fleur Beauvieux, "Peste de Marseille (1720-1722)", dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2023.

 

 

 

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