John Howard, Plan de sol du lazaretto vecchio, Wellcome Library, London
Au tournant du XVe siècle, le recours à la quarantaine héritée du Moyen Âge demeure l’un des moyens privilégiés pour endiguer les épidémies de peste. C’est dans ce contexte, que l’on voit s’ériger à Venise le lazaretto vecchio (1423), commandé par le Sénat puis financé et administré par l’Office du sel, puis le lazaretto nuovo (1468). Ces lazarets sont ensuite placés sous la tutelle du Magistrato alla Sanità, institué en 1456 puis rendu permanent dès 1486.
Avant l’apparition des lazarets vénitiens, les pestiférés étaient accueillis dans des hôpitaux de fortune ou sur des sites préexistants que l’on réquisitionnait provisoirement : le lazaretto vecchio devient ainsi le premier hôpital de peste permanent. Leur fonction principale, qui répond à des préoccupations économiques, est de permettre aux occupants du navire et à leur marchandise d’effectuer leur quarantaine avant d’entrer dans le territoire vénitien, jetant ainsi les bases du fonctionnement des lazarets modernes. Leur seconde fonction, amenée à disparaître, est de prendre en charge les malades. Venise se dote ainsi de deux moyens pour limiter la propagation des maladies : les quarantaines à domicile (généralement employées pour ceux qui n’ont eu qu’un contact limité avec la maladie, davantage utilisée pour les femmes et les enfants), puis les séjours, parfois forcés, au lazaret. Les périodes quarantenaires varient de 8 à 40 jours et sont déterminées par les conditions dans lesquelles l’individu est entré en contact avec la maladie.
Qui peuple ces lazarets ? Les pauvres sont surreprésentés parmi les quarantenaires, et ce, même si les préjugés à l’égard des plus démunis ne semblent pas être à l’origine de ce phénomène, dans le cas de Venise à tout le moins. C’est plutôt la précarité des conditions de vie qui est en cause. L’entassement et une mauvaise alimentation sont identifiés comme des facteurs qui touchent davantage les plus démunis et qui favorisent le développement de la maladie. Ces motifs conduisent parfois à envoyer des familles entières aux lazarets, où l’isolement complet des malades entre eux n’est pas exigé. Aux yeux des autorités sanitaires, cette solution est économiquement préférable aux mesures de quarantaines à domicile qui sont plus risquées et difficiles à faire respecter.
Durant les flambées épidémiques, il est permis à ceux qui ont des maisons plus spacieuses de condamner les pièces touchées par la maladie, d’aller séjourner à la campagne ou de s’isoler dans les propriétés sur les îles environnantes. Les plus fortunés obtiennent donc plus fréquemment des permissions pour effectuer leur quarantaine hors des lazarets. Ces facteurs ont certainement joué un rôle dans la mortalité inférieure constatée parmi les populations riches. Durant l’épidémie de 1575-77, qui décime un tiers de la population de Venise, la mort de 329 nobles sur un total de 50 721 décès est recensée : autant dire que les lazarets ont mauvaise presse, particulièrement auprès des pauvres. Leur impopularité mène parfois à une fermeture temporaire. En 1633, à la suite de pressions populaires, le lazaret de Florence ferme, mais les coûts élevés associés à la gestion des malades en milieu urbain conduisent à sa réouverture peu de temps après.
Venise, qui dépense des sommes considérables dans le traitement des malades durant les XVe et XVIe siècles, n’obtient pas de résultats probants dans ses tentatives de juguler la maladie. Elle connaît paradoxalement ses premiers succès au cours du XVIIe, ce qui coïncide avec un déclin dans l’activité des lazarets. Après la dernière épidémie de peste à Venise en 1630-31, les lazarets vénitiens retournent à leur fonction première : celle d’accueillir les navires. S’impose une vigilance particulière pour les vaisseaux en provenance du Levant (Proche-Orient) et de Barbarie (Afrique du Nord), régions alors perçues comme le réservoir de la peste, tandis que la tolérance à l’endroit des navires qui arrivent de ports européens est plus souple. L’usage de « patente » devient obligatoire au cours du XVIIe dans les ports d’Europe et de l’Empire ottoman. Les patentes indiquent le risque d’infection d’un navire et varient selon la situation sanitaire des cités portuaires du Levant où il fait escale. On détermine ainsi la durée des quarantaines qui varient de 14 à 40 jours pour les passagers. Entre 1716 et 1845, les lazarets vénitiens accueillent 11 navires pestiférés, mais la maladie ne gagne jamais la ville.
La relative disparition de la peste en Europe et au Levant au tournant du XIXe relance la polémique sur l’utilité des lazarets que certains considèrent comme des entraves au commerce maritime puisqu’ils annulent l’effet bénéfique du progrès technique qu’est la navigation à vapeur. L’émergence de maladies nouvelles comme la fièvre jaune qui se manifeste dans le sud de l’Espagne et à Livourne, puis du choléra, qui se propage à partir du pèlerinage de La Mecque en 1865, témoignent de la pertinence du cordon sanitaire formé par les lazarets, conservés malgré une utilisation désormais plutôt rare.
Prolonger la lecture sur le dictionnaire : Quarantaine - Livourne 1804
Références :
Daniel Panzac, Quarantaines et lazarets : l'Europe et la peste d'Orient (XVIIe-XXe siècles), Édisud, 1986.
Jane L. Stevens Crawshaw, Plague Hospitals. Public Health for the City in Early Modern Venice, Ashgate, 2012.
Pour citer cet article : Jérémie Hébrard, "Lazaret", dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHis, Le Mans Université, 2022.