Marseille- En quarantaine, entrevue à la Santé, d'un officier de la marine avec sa famille- (Dessin de M. A. Brun), Le Monde illustré, 5 juillet 1884
En février 2020, des ressortissants français de Chine, rapatriés à cause de l'épidémie de Covid-19, sont placés en quarantaine dans un centre de vacances des Bouches-du-Rhône. Par leur caractère imprévisible et leur propagation accélérée par la mondialisation des échanges, les épidémies sont des défis à la prévention. Elles exigent des mesures collectives, l’intervention forte et précoce de l’État pour réguler les conduites et la contagion. La quarantaine est l’une d’elles, qui contribue à réduire l’incidence de la maladie en retirant de la société ceux qui, selon leur provenance ou leur contact avec des personnes ou objets contaminés, peuvent transmettre une affection contagieuse. Si ces quarante jours d’isolement font référence à la durée d’incubation d’une maladie grave fixée par Hippocrate mais aussi à la tradition chrétienne (Carême, séjour de Moïse sur le Mont Sinaï), dans les faits, la durée varie.
La quarantaine est d’abord liée à une maladie spécifique : la peste. La première quarantaine (d’un mois) pour lutter contre la peste noire est organisée dans le port de la colonie vénitienne de Raguse (actuelle Croatie) en 1377. Imposée par le Recteur de la cité, la Loi de Raguse entérine des principes durables. Outre l’isolement et l’interdiction de pénétrer dans la zone circonscrite pour une durée déterminée, des soins sont donnés aux malades et les contrevenants sanctionnés. En 1403, la République de Venise installe sur l’île de Santa Maria di Nazareth le premier lieu dédié à l’accueil des personnes et des marchandises en quarantaine. Situé à l’écart de la ville et surveillé, il s’agit du lazaret. Ce modèle de lieu de rétention sanitaire se répand (à Gênes en 1467, à Marseille en 1476) ; il est utilisé durablement jusqu’à sa remise en cause dans la deuxième moitié du XIXe siècle.
La quarantaine est ensuite associée à un espace traversé par des déplacements vecteurs d’épidémie, à savoir le port. La procédure officielle de mise en quarantaine s’ouvre par la délivrance par le consul d’une “patente”. Opération de traçabilité, sa rédaction repose sur l’interrogation du capitaine du navire sur son pays de départ et sur les étapes de son trajet pour y repérer les éventuels passages par des régions contaminées. La quarantaine s’applique aussi aux vêtements des passagers et aux marchandises, à l’exception des « non susceptibles » (blé en vrac, huile d’olive), et des animaux vivants qui sont lavés plusieurs fois.
Au début du XIXe siècle, les mesures de quarantaine, réitérées face à l’arrivée de la fièvre jaune en Catalogne et dans des ports français et du choléra en Europe en 1831/1832, suscitent des oppositions. Leur coût élevé, ainsi que d'autres arguments économiques (interruption des activités commerciales), politiques (entrave à la libre circulation des individus, surveillés au nom de l’ordre et de la sécurité publics), et sociaux (limitation des interactions, non-respect des coutumes funéraires) provoquent des soulèvements populaires. Le 22 juillet 1832, une émeute éclate à Staraïa Roussa (Russie) : la foule assassine des médecins locaux et organise des pillages. Le choléra est alors considéré comme une épidémie liée aux conditions atmosphériques et environnementales, et la quarantaine est jugée inutile puisque l’épidémie ne vient pas de l’étranger : il s’agit de renforcer la salubrité publique intérieure par de nouvelles mesures de protection.
Plusieurs facteurs font évoluer le système après 1850. Lors de la première Conférence sanitaire internationale rassemblant les médecins et les diplomates de douze États à Paris, en 1851, la France propose d’uniformiser les règles de la quarantaine. La déclaration officielle et précoce d’une épidémie devait permettre de faire connaître la réalité du danger aux états concernés. L’action préventive est alors valorisée. Les procédures de quarantaine en Europe sont aussi progressivement allégées dès l’instant qu’elles sont renforcées dans les ports du bassin méditerranéen. L’extension des relations maritimes et la puissance des États européens après 1850 aboutissent en effet à imposer la quarantaine aux pays du Proche-Orient et à la Turquie, perçus comme régions d’origine des fléaux épidémiques. En Europe même la généralisation de l’English system se répand, consistant en un ensemble de mesures faisant la promotion du dépistage individuel pour séparer les éventuels malades des bien-portants. Les autorités portuaires peuvent décider la désinfection des bateaux et la destruction des marchandises. Selon le Public Health Act de 1872, les passagers, même sains, déclinent leur identité et les adresses où les joindre durant les cinq jours suivant leur arrivée, afin de vérifier la survenue de symptômes et limiter la diffusion des maladies infectieuses à l’intérieur du pays.
Mesure ancienne de restriction des libertés individuelles, la quarantaine n’est donc pas homogène dans le temps ni dans l’espace. La gestion du risque sanitaire mobilise en effet dans un temps de controverses les pouvoirs politique et médical mais aussi le civisme des populations pour préserver le bien public.
Prolonger la lecture sur le dictionnaire : Méthode Coué - Grippe espagnole - Livourne 1804 - Barcelone 1821
Références :
Sofiane Bouhdiba, Pavillon Jaune, Histoire de quarantaine, de la Peste à Ebola, L’Harmattan, 2016.
Patrick Zylberman, Tempêtes microbiennes. Essai sur la politique de sécurité sanitaire dans le monde transatlantique, Gallimard, 2013.
Pour citer cet article : Isabelle Coquillard, « Quarantaine » dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2021.