Absinthe

Publicité pour l’absinthe Robette Henri Privat-Livemont 1896.

   Les racines de l’absinthe remontent au XVIII^e siècle, en Suisse, où elle fut initialement élaborée à des fins médicinales. Le nom « absinthe » trouve son origine dans l'Artemisia absinthium, une plante amère utilisée comme ingrédient principal de cette boisson.

   L'absinthe évolue vers une forme plus sophistiquée en se combinant avec diverses herbes, telles que l'anis et la badiane, pour adoucir son goût amer. C’est un alcool fort qui varie entre 70 et 75 degrés. Cette boisson connaît un succès pendant les campagnes d’Algérie de 1830 à 1902. En effet l’eau présente en Algérie n’est pas potable et les risques de choléra poussent la France à envoyer de l’alcool pour sustenter ses soldats. À partir des années 1850, la France produit moins de vin à cause d’épidémies tel le phylloxéra, il faut donc trouver une autre boisson pour abreuver les soldats, et la France porte son dévolu sur l’absinthe.
 

   La boisson gagne en popularité en France dans la deuxième moitié du XIX^e siècle, devenant un symbole du mouvement artistique de l'époque. Des artistes de renom tels que Vincent van Gogh et Henri de Toulouse-Lautrec sont parmi ses fervents amateurs, contribuant à l'association romantique et mystérieuse de la « fée verte » avec le monde artistique. Cette appellation trouve ses origines dans l'apparence verdoyante de l'absinthe due à la macération de ses ingrédients : de l'anis vert, du fenouil, de l'hysope et de la mélisse. Le terme de « fée », quant à lui, provient des effets psychotropes que procurerait cette boisson, suscitant des hallucinations. Selon l'écrivain irlandais Oscar Wilde, ces effets permettraient même à ses consommateurs  de voir des « petits génies ».

   L’absinthe est d’abord consommée par les classes bourgeoises françaises, puis se généralise à toutes les classes sociales pour devenir, en 1870, l’alcool apéritif le plus consommé, par 80% de la population. Pour boire de l’absinthe, il y a un procédé à respecter ; il faut d’abord mettre l’alcool au fond d’un verre, puis faire goûter de l’eau sur un morceau de sucre posé sur une cuillère au-dessus dudit verre. Le succès de la boisson est notamment dû à la cérémonie qui l’accompagne, et permet de créer des outils tels que la cuillère percée spécialement conçue pour cet alcool, ou encore une machine qui permet un goutte à goutte de l’eau vers le verre.

   Cependant, cette période prospère de l’absinthe est entachée de controverses croissantes. Des rumeurs sur les effets - psychiatriques et mortels - attribués à la molécule thuyone présente dans l'Artemisia absinthium, alimentent des inquiétudes croissantes quant à la sécurité de la boisson. La thuyone, un composé neurotoxique, peut provoquer des convulsions, des hallucinations et des dommages au niveau du système nerveux à forte dose. On dit alors que l’absinthe rend fou. Par la suite, de 1871 à 1874, quelques médecins, dont Valentin Magnan, et les facultés de médecine de Paris et Montpellier, alertent des dangers liés à cet alcool, qui mènerait à « l’absinthisme ». Les mouvements anti-absinthe gagnent du terrain, conduisant à son interdiction en Côte d’Ivoire en 1908 et en Algérie en 1911. À cette époque, il était affirmé que la chaleur augmentait les effets nocifs de l’absinthe.

   Après la Belgique en 1906 et la Suisse en 1910, la France interdit l'absinthe le 16 mars 1915. L’interdiction longtemps attribuée au lobby du vin qui représente une grande quantité des électeurs, est plutôt liée à l'essor du mouvement anti alcoolique si on se fie aux dernières recherches historiques. Cette interdiction permet de prendre en compte l’absinthisme comme un souci d’État et de santé publique. C’est la première fois que l’alcoolisme est considéré comme un problème à l’échelle nationale. Cela mène à la loi du 9 novembre 1915 pour la limitation de la vente d’alcool en public dans les débits de boissons. Son interdiction a ouvert la voie au succès d'autres alcools similaires mais moins dangereux, comme c'est le cas du pastis, par exemple.

   L'interdiction, motivée par des inquiétudes sanitaires et morales, reste en vigueur pendant des décennies. Ce n'est qu'en 2011 que la France lève l'interdiction de l'absinthe.

   Au cours des dernières décennies, l'absinthe a fait un retour sur la scène des spiritueux. Les producteurs respectent des normes strictes en matière de teneur en thuyone, et des variations modernes de la boisson émergent, allant des recettes traditionnelles aux nouvelles créations. On sait désormais que les effets néfastes de l’absinthe étaient majoritairement dû à l’alcool de mauvaise qualité qui était ajouté dans la boisson. L'absinthe retrouve ainsi une place dans la culture contemporaine, réconciliant son passé tumultueux avec une appréciation renouvelée de son héritage culturel.

   Aujourd'hui, l'absinthe est célébrée pour sa complexité aromatique. Des distilleries artisanales aux grandes marques, l'industrie de l'absinthe prospère, intégrant des pratiques modernes tout en honorant les traditions centenaires.

   L'absinthe, jadis entourée de mystère et de scandale, est désormais appréciée pour sa contribution à l'histoire culturelle et artistique. Ainsi, l'absinthe demeure bien plus qu'une boisson alcoolisée ; elle incarne une expérience culturelle passée qui a permis des avancées sanitaires en lien avec l’alcoolisme.

Prolonger la lecture sur le dictionnaire : Antialcoolisme - L'alcool voilà l'ennemi ! (podcast La Piqûre de rappel)