S’il existe un objet historique à la croisée des sphères médicales, politiques et historiques, c’est bien l’association de patients. Ce groupement de personnes, qui s’associent selon des modalités légales dans un but autre que celui de partager des bénéfices a, dans le cadre spécifique de la maladie, une histoire longue et riche. On peut ainsi faire remonter son histoire aux corporations de métiers d’Ancien Régime et à leurs caisses de secours. Ces caisses, qui perdurent pendant tout le XIXe siècle, malgré les interdictions posées par les lois d’Allarde et Le Chapelier, sont la base du syndicalisme et du mutualisme. Elles sont la manifestation de la dimension sociale de la maladie et de son lien ancien avec le monde du travail. Les lois de 1884 sur la liberté syndicale et de 1901 sur la liberté d’association ne remettent pas en cause cette imbrication profonde. On trouve ainsi dans le champ de la tuberculose au cours des années 1930-1950, des associations qui sont plus ou moins directement liées à des centrales syndicales. Citons la Fédération Nationale des Tuberculeux (FNT) proche de la Confédération Générale du Travail (CGT). L’accès à la santé est d’abord une question économique et la présence, encore aujourd’hui des syndicats dans le système de gestion paritaire de la Sécurité Sociale marque la pérennité de cette question.
Mais les malades se sont assemblés pour d’autres raisons. Dès la Première Guerre mondiale, les combats et les conditions dégradées du front ont laissé de terribles séquelles dans la population. Gazés, Mutilés de Guerre, Gueules Cassées, tuberculeux... les blessures reçues unissent des destins autour d’une affection et d’une histoire commune. De grandes associations comme l’Union des Blessés de la Face ou la Fédération Nationale des Blessés du Poumon (FNBP), toutes les deux fondées en 1921, sont emblématiques du mouvement qui se constitue alors. Dans le cadre de la tuberculose on assiste à une véritable vague de création associative. Impulsé par la fondation Rockefeller, puissante structure caritative américaine, ce bourgeonnement sert de base, à partir de 1917, au renforcement des structures sanatoriales encore peu développées en France. Ce sont des associations qui peuvent réunir des centaines de milliers d’adhérents, ayant des contacts au sommet de l’État, qui orientent des décisions législatives et réglementaires et qui possèdent de forts moyens financiers. Ainsi la FNBP fait ériger de 1931 à 1933 la cité sanatoriale de Clairvivre, immense complexe hospitalier et urbain.
Le poids institutionnel de ces associations est tel qu’à la Libération le ministère de la Santé créé une commission consultative des associations de malades. Mais l’avènement des techniques ambulatoires de soins de la tuberculose porte un coup très lourd à ces associations dans les années 1960. Le modèle sanatorial s’effondrant, les associations de tuberculeux réorientent leurs actions vers le handicap et la réadaptation professionnelle. Ce qui n’empêche pas l’érosion des troupes, la FNBP forte de 200 000 adhérents en 1953 n’en compte plus que 3000 en 1966.
Si les années 1950 sont le point haut de l’influence des associations de tuberculeux, ce sont aussi des années qui voient se développer d’autres associations comme l’Association Française de lutte contre les Myopathies (AFM) créée en 1958. Les Trente Glorieuses et le développement de l’hôpital moderne ont-ils occulté ce premier modèle associatif ? Les associations connaissent une « renaissance » à partir des années 1980 sous l’effet de la crise du Sida qui redonne un poids et une place dans le débat public aux groupes de malades. Le mouvement est considérable, porté par le vide thérapeutique et par la lenteur des recherches, mais aussi par l’affirmation d’une identité homosexuelle. Actions médiatiques, politiques, sociales et thérapeutiques c’est tout le spectre de la maladie qu’entendent aborder : AIDES ou Act-up et leurs consœurs. Dans le même temps les années 1980 sont aussi celles du Téléthon, grande émission caritative au succès jamais démenti depuis et financeur de grands projets de recherche.
De la souffrance individuelle à l’organisation collective des soins il existe donc tout un monde intermédiaire. Loin d’avoir été des acteurs muets, les associations ont fait entendre leur voix qui ont pesé aussi bien dans les débats politiques que dans les actions thérapeutiques.
Références :
Bachelot Pierre, « L’influence politique d’une association de malades au cours des années 1945-1955 au travers de son mensuel Vers la Vie », in Faure O., Guillemain H. (dir) Pour en finir avec les médecines parallèles, Histoire, Médecine et Santé.(14) Toulouse, 2019. pp. 103-120.
Barbot Janine, Les malades en mouvements : la médecine et la science à l’épreuve du sida, Paris, Balland, 2002.
Pour citer cet article : Pierre Bachelot, "Associations de patients", dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2020.