« Le marchand d’orviétan de campagne », gravure au pointillé en couleur, Louis Marin Bonnet, d’après Jacques Philippe Caresme, XVIIIe siècle.
Au début du XVIIIe siècle, les boîtes de remèdes du roi, sorte de trousses de premiers secours, sont distribuées dans les campagnes. De composition variable au fil du siècle, elles contiennent, en 1721, 353 « prises », des remèdes étiquetés et conditionnés en petits paquets, à prendre selon les instructions jointes : des purgatifs, de la poudre de corail anodine calmante, de l’ipécacuana en cas de fièvre... Au nom des théories populationnistes, du souci d’éviter les contagions dans les villes, de limiter les dépenses hospitalières et de maintenir l’ordre public, les ruraux ne sont pas abandonnés à leur faible densité médicale, même si 75 % des médecins sont des urbains !
En 1686, Jean-Adrien Helvétius, médecin de Leyde, guérit le Dauphin d’une dysenterie avec de l’ipéca. Si Louis XIV l’autorise à vendre son remède, Helvétius propose dès 1688, d’ajouter des médicaments et de les faire distribuer aux pauvres des campagnes en cas d’épidémie, puis chaque année par les intendants, religieux et dames de charité. Il tente de se faire nommer « Commissaire ordonnateur et distributeur général des remèdes pour le soulagement des pauvres » et d’obtenir le monopole de la fourniture de médicaments. En 1727, son fils, premier médecin de la reine, membre de l’Académie royale des sciences, lui succède. En intégrant la Commission royale pour l’examen des remèdes secrets en 1728, Helvétius fils est à la fois distributeur et contrôleur des médicaments. Il participe à la lutte contre la vente de produits illégaux et à la promotion des produits approuvés par la Faculté de médecine de Paris, dont il est gradué comme tous ses successeurs.
La préparation et l’envoi des médicaments sont le monopole de la famille Helvétius jusqu’en 1762. Transmise du père au fils, la fonction revient au cousin de ce dernier, Jean de Diest, en 1756. Les titulaires doivent avoir confiance en leurs continuateurs pour leur transmettre des formules secrètes. Sans postérité, de Diest désigne Joseph de Lassonne, médecin de la reine et pensionnaire vétéran de l’Académie royale des sciences. Sélectionner des remèdes peu coûteux et d’usage quotidien permet à de Lassonne d’augmenter le nombre de « prises » envoyées, passant de 126 910 en 1741 à 400 000 en 1762. En modifiant le contenu des boîtes en 1764 (avec du tartre stibié pour laxatif, des remèdes contre les maladies infectieuses ou pour soigner les blessures superficielles consécutives aux travaux agricoles), de Lassonne intègre les évolutions thérapeutiques et leur vulgarisation, répond aux besoins spécifiques des ruraux. Il met fin à la pratique de la « prise » au profit d’un système de dosages des remèdes selon les âge et tempérament du malade, d’où la présence de balances et de fioles dans les boîtes.
La gestion des boîtes de remèdes est un moyen de s’afficher en médecin expert de la thérapeutique et en homme charitable. Cette activité engendre aussi de conséquents gains financiers. En 1778, de Lassonne reçoit 55 000 livres alors qu’il n’a dépensé que 18 000 livres pour produire les médicaments. L’action charitable se mue en entreprise économique. De plus, il prend la direction de la médecine et du marché des médicaments pour les pauvres des campagnes et se trouve à la tête d’un service mêlant médecine et administration. Les bénéficiaires en sont satisfaits : leur demande de secours est toujours supérieure à l’offre. Les médecins de Province apprécient ces boîtes dont l’usage est simple (seuls les remèdes nécessaires au traitement des maladies des campagnes sont rassemblés) et guidé (grâce aux instructions et à la correspondance avec le médecin responsable).
Mais le procédé des boîtes de remèdes est une intervention médicale ponctuelle, inégale selon les lieux. Si les chirurgiens peuvent participer à la distribution, les apothicaires ne sont qu’épisodiquement sollicités pour compléter les fournitures reçues ou vérifier l’état de conservation des produits. L’usage des boîtes de remèdes par des non professionnels de la santé se révèle parfois inadéquat. Des médicaments sont délaissés pour les poudres contre les fièvres et le quinquina. Le renouvellement des boîtes est parfois demandé quand ces deux seuls produits sont épuisés. Parfois, les dosages ne sont pas respectés. Des manquements apparaissent lors de la distribution effective des médicaments : les boîtes n’arrivent pas toujours complètes aux malades, une partie du contenu étant prélevée par les hôpitaux ou les notables locaux.
La distribution des boîtes de remèdes témoigne de l’action de la monarchie en faveur de la santé publique, en collaboration avec les médecins, de sa volonté de participer à l’encadrement sanitaire de la population et de la préserver des praticiens illégaux. Cette action est complétée, en 1776, par la création de la Société royale de médecine marquant le passage d’une action individuelle à une organisation étatique centralisée.
Prolonger la lecture sur le dictionnaire : Homéopathie- Pharmacie centrale
Références :
Laurence Brockliss, Colin Jones, The Medical World of Early Modern France, Oxford, Clarendon Press, 2004 [1997].
Quentin Gravier, La distribution des remèdes du Roi dans la Généralité de Rouen de 1750 à 1789 : organisation du système et évaluation de l’efficacité de ce réseau de soins. Sciences pharmaceutiques, Thèse de pharmacie, dir. Olivier Lafont, Université de Rouen, 2016.
Pour citer cet article : Isabelle Coquillard, "Boite à remèdes", dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2020.