Publicité visant à favoriser les pratiques hygiéniques envers les nourrissons, années 1930, Comité National de l’Enfance.
Aujourd'hui abandonné, l'usage du talc, poudre d'origine minérale, a longtemps été recommandé, notamment chez les nourrissons. Il était préconisé de l'appliquer sur l'enfant après l'avoir lavé et séché, notamment sur la zone recouverte par la couche. Parmi les marques emblématiques dans la distribution de ce produit, Baumol est assez représentative. Assez ancienne, elle était prisée pour son odeur de lavande et son prix très compétitif. Les Laboratoires Francam, responsables de la fabrication de la poudre depuis sa mise sur le marché en 1914, ont cédé sa conception, en 1950, aux Laboratoires Daney. Localisés à Bordeaux, ils étaient alors sous la responsabilité du pharmacien Jacques Cazenave.
À partir de la fin 1951, des jeunes enfants sont victimes de cette poudre, en Bretagne principalement, mais aussi dans le Sud-Ouest de la France. En effet, des rougeurs apparaissent assez soudainement sur la peau des nourrissons, avant de laisser place à des boutons. Dans les cas les plus graves, ils peuvent se transformer en cloques, puis en trous impressionnants dans le petit corps de l'enfant. Une respiration compliquée ou encore de la fièvre peuvent accompagner l'ensemble. Effectivement, deux séries de boîtes de poudre Baumol, produites respectivement le 21 novembre et le 19 décembre 1951, sont nocives. Cela représente environ 2000 boîtes. Au sein d'un laboratoire peu scrupuleux, où le chauffeur-livreur fait souvent office de préparateur et où les contrôles et dosages sont assez peu respectés, une forme dérivée d'arsenic est intégrée à la préparation. Il est très probable que l'un des fournisseurs, dont les matières premières étaient entreposées de manière anarchique, ait remplacé l'oxyde de zinc dans la commande. Toutefois, les contenants intoxiqués s'étant trouvés mélangés avec d'autres ne comportant pas d'arsenic, la mise en lumière de la fatale erreur de production est laborieuse.
Les différents médecins et pharmaciens confrontés aux conséquences de cet événement sont démunis. Des liens sont supposés, avec une maladie connue, un tissu ou encore le lait donné à l'enfant, sans que le talc ne soit suspecté. En juillet 1952, deux médecins bretons alertent le service de santé du Finistère, mais l'affaire n'est cependant pas traitée avec sérieux. Certains docteurs prennent aussi parfois la décision d'arrêter la vente de la poudre dans leur localité, en amont de directives officielles. Il faut ainsi attendre le 31 octobre 1952, soit plus de onze mois après la première production toxique, pour que l'interdiction de vendre la poudre soit officialisée.
Une longue période d'expertise est réalisée entre 1952 et 1957 par le Pr Griffon (acteur de l'affaire Besnard), qui utilise une méthode innovante mais peu fiable, utilisant la radioactivité pour déceler la présence d'arsenic. Le procès ne voit le jour qu'à la fin de l'année 1959. Déclaré coupable de plusieurs centaines d'homicides et blessures involontaires et de non-respect des règles pharmaceutiques, Cazenave écope de 18 mois de prison avec sursis et d'une amende de 200 000 francs, à quoi il faut ajouter les divers frais et interdictions.
Le nombre de victimes est compliqué à déterminer avec certitude. Tout en considérant qu'ils sont très certainement incomplets, les résultats de l'affaire permettent une estimation de 72 à 82 morts, et de 278 à 424 blessés. L'affaire Baumol pousse à l'émergence d'un contrôle plus strict à partir de l'ordonnance du 4 février 1959. Cette dernière complète le décret-loi inauguré sous le régime autoritaire de l’État français, le 11 septembre 1941. Outil de définition, celui-ci est surtout à l'origine de la nécessité d'obtenir un visa avant la commercialisation d'un produit pharmaceutique. Des éléments tels que les composants dudit produit, ou encore le protocole de conception étaient dès lors examinés. Un grand pas en avant est donc déjà acté au début des années 1940. Cependant, au regard des scandales sanitaires faisant suite à celui de la poudre Baumol, notamment celui concernant le Stalinon, les précautions prises ne sont pas suffisantes. L'ordonnance de 1959 a donc pour objectif de limiter ce genre d'incidents mettant en péril la vie des Français, en complexifiant l'obtention des autorisations pour la mise en circulation. Ainsi, les demandes de visa doivent désormais se faire avec l'appui d'un dossier plus détaillé, et les contrôles réalisés par des experts préalablement sélectionnés par le ministère de la Santé sont généralisés. Le concept de pharmacovigilance se développe, jusqu'à l'émergence de l'AMM en 1967.
Malgré son impact sur la santé de nombreux enfants, ce scandale tombe vite dans l'oubli, tandis que lui succède une affaire plus connue et présentant de nombreuses similitudes au cours des années 1970, autour du talc Morhange.
Références :
Annick Le Douget, Enquête sur le scandale de la poudre Baumol (1951 – 1959) – La première catastrophe sanitaire française, Le Douget, 2016.
Sophie Chauveau, L'invention pharmaceutique – La pharmacie française entre l’État et la société au XXe siècle, Sanofi-Synthelabo, 1999, coll. « Les empêcheurs de tourner en rond ».
Pour citer cet article : Clément Cosandier, "Scandale Baumol", dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHis, Le Mans Université, 2022.