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Dictionnaire Politique d'Histoire de la Santé

Chaîne des forçats

La Monarchie de juillet a mis fin à un système ancien de transfert des bagnards qui générait des risques sanitaires majeurs au temps du choléra.G. Cloquemin, départ de la chaîne des forçats pour le bagne, 1832, musée Carnavalet.

La Monarchie de juillet a mis fin à un système ancien de transfert des bagnards qui générait des risques sanitaires majeurs au temps du choléra.

 

   La chaîne des forçats est une spécificité dans l’Histoire carcérale et politico-sociale de la France. Elle représente le moyen d’acheminement des futurs bagnards durant plusieurs siècles. Mise en place au XVIe siècle, améliorée sous Colbert et utilisée jusqu’à son abolition en 1836, elle est en proie à de nombreuses critiques philanthropiques tout au long de la première moitié du XIXe siècle.

 

   Les condamnés au bagne sont des individus aux profils multiples. Les travaux forcés peuvent aussi bien concerner de simples voleurs, des militaires pour actes d’insubordination, que de grands criminels. En 1813, c’est près de 16 213 personnes qui sont envoyées vers les bagnes, à cause du durcissement du Code pénal de 1810. La plupart sont emprisonnées dans la prison de Bicêtre, au sud de Paris, avant d’être enchaînées et envoyées vers les bagnes de Brest, de Toulon, ou de Rochefort. 

 

   L’objectif principal de l’État français, quel que soit le régime au pouvoir, est de tenir la population dans le droit chemin. Les autorités soumettent les criminels à leur ordre et le système de la chaîne sert d’instrument de sujétion de la population qui compare ces forçats à des monstres. Sa gestion est prise en charge par une entreprise privée pour une durée de huit à dix ans. Elle est responsable du financement des équipements des forçats (chaînes, colliers et entretiens). Mais cette délégation de la chaîne à un entrepreneur indépendant peut occasionner des dérives dans la conduite des galériens vers leur destination. Par exemple, le commissaire qui escorte la chaîne d’avril 1834 est inquiet au sujet du nombre trop important de détenus par chaînes voulu par Maillard, dirigeant de l’entreprise, par souci d’économie.

 

   Le départ des forçats débute par leur enchaînement dans la cour de la prison de Bicêtre. C’est la grande cérémonie du ferrement. C’est à ce moment que se déroule le dernier examen médical, le délestage des objets frauduleux cachés par les condamnés et la distribution de leur tenue de voyage. C’est aussi un événement qui tient du spectacle pour la bourgeoisie parisienne. Le rivetage du collier marque l’entrée symbolique du condamné dans sa condition de bagnard. 

 

   Sur les routes, les caravanes de forçats sont gérées par une « escorte suffisante ». Il faudrait théoriquement un argousin (surveillant de la chaîne) pour surveiller cinq hommes. Cependant, sur la route de Toulon en 1833, il n’y avait qu’un garde pour treize forçats. Ce ne sont pas des gardiens professionnels, ils sont recrutés à mi-temps. Ces surveillants sont tout de même soumis au modèle militaire en détenant le grade de capitaine. Ils sont souvent accusés de violences excessives. Pourtant, les châtiments sont amplement encadrés par des directives gouvernementales. Les commissaires issus du ministère de l’Intérieur veillent au respect des clauses du marché pour l’administration. 

 

   Des chirurgiens surveillent également la santé des galériens. En effet, le voyage n’est pas sans danger sanitaire. C’est pour cela, qu’en 1825, l’administration a décidé de privilégier les départs des chaînes à la belle saison pour limiter la mortalité qui était relativement importante au début du XIXe siècle. La crainte de la propagation de maladies par le convoi est aussi bien présente chez les populations qui la côtoient. En effet, le manque d’hygiène et les conditions de voyage des forçats favorisent l’apparition de maladies épidémiques. Les épisodes fiévreux, bilieux ou nerveux représentent près de 50 % des symptômes inventoriés. En 1832, la menace du choléra plane sur la chaîne. Cependant, il semblerait qu’il n’ait pas impacté les voyages. Pourtant, les maladies sont monnaie courante lors du transport des forçats. En 1833, une épidémie de dysenterie frappe la quasi-totalité des condamnés et des gardes. Les conditions de transport sont aussi déplorables, comme en témoignent la descente du Rhône de plusieurs semaines sur des barges combles ou les conditions de logement dans des étables à même le sol. À leur arrivée, les forçats sont physiquement dégradés. Ils ont le droit à une période de repos qui sert de temps de quarantaine pour limiter tout risque d’épidémies, avant de commencer leur nouvelle vie de bagnards.

Les années 1830 sont une époque de contestation et de remise en cause de la chaîne des forçats. C’est à cette période que se développent des mouvements philanthropiques qui assimilent la chaîne à l’esclavagisme. Il est impensable pour les philanthropes français de tolérer l’existence d’un convoi d’hommes traités comme des Noirs américains. Le National considère la chaîne comme un des « vestiges des vieilles barbaries de nos pères ». La fraude des entrepreneurs privés, malgré la fin de leurs abus en 1831, le rejet des édiles municipaux du « fardeau financier » de la chaîne, les différents cas de maltraitance et les risques sanitaires entraînent son abolition par l’ordonnance royale du 30 décembre 1836. Elle est remplacée en 1837 par des fourgons cellulaires jugés plus sûrs et efficaces.

 

Prolonger la lecture sur le dictionnaire : Tatouage- Surmortalité asilaire-

Paul Cousin - Le Mans Université

Références :

Sylvain Rappaport, La chaîne des forçats, Paris, Aubier, 2006.

Michel Pierre, Le temps des bagnes (1748-1953), Paris, Tallandier, 2017.

Pour citer cet article : Paul Cousin, "Chaîne des forçats", dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2021.

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