Le clitoris apparaît et disparaît au fil du temps. Plusieurs études qui abordent brièvement son histoire renvoient au travail de l’anatomiste allemand Georg Ludwig Kobelt (1804 –1857), qui aurait découvert cet organe de la femme et qui a laissé des dessins très détaillés à la postérité. Les choses sont pourtant bien plus complexes. Les médecins du XIXe siècle n’ont pas découvert le clitoris : ils l’ont réinterprété. Ce sont en effet les médecins anatomistes des XVIe et XVIIe siècles qui, lors des dissections sur les cadavres, ont produit des planches formidables du clitoris.
Au XVIe siècle déjà, le clitoris a été au centre des disputes médicales masculines pour savoir qui l’avait découvert en premier et où le terme « clitoris » trouvait son origine. Il est certain qu’à cette époque, et jusqu’à la moitié du XVIIIe siècle, le clitoris jouissait d’un statut d’objet scientifique en raison - aussi - de sa fonction physiologique dans la reproduction. Il convient en effet de rappeler que dès l’Antiquité, certains médecins estimaient que le plaisir sexuel de la femme était indispensable à la fécondation, car, pensait-on, la femme avait, elle aussi, des testicules et une semence. Encore en 1765, on pouvait lire dans l’Encyclopédie des philosophes à l’article « génération » : « Ce frottement excité dans le coït entre la verge et le vagin ne donne pas seulement lieu au prurit qui s’excite en conséquence dans les parties génitales de l’homme, il produit aussi cet effet dans celles la femme… d’où s’ensuit une véritable érection du clitoris, un gonflement & une tension générale dans toute l’étendue des membranes spongieuses & nerveuses du vagin & de la matrice. [... ] Ce sont ces différentes dispositions qui constituent le plus grand degré d’orgasme [... ] cette effusion se fait comme celle de la semence dans l’homme par une sorte d’action convulsive qui la rend semblable à l’éjaculation, & n’a pas peu contribué sans doute à faire regarder cette liqueur de la femme comme une vraie semence, une liqueur aussi prolifique que celle de l’homme ».
Les découvertes de l’ovulation spontanée chez la femme (1830-1840) – une ovulation donc non liée à la sexualité - et du rôle des spermatozoïdes dans la fécondation (1875) – notamment leur mobilité - ont transformé les organes génitaux de la femme en organes passifs. Aux représentations précédentes qui donnaient le pouvoir de la fécondation à l’utérus, aux trompes ou au plaisir féminin, se substituait dès lors un modèle selon lequel les spermatozoïdes franchissaient, héroïques, le corps des femmes à la rencontre de l’ovule. Le clitoris devint ainsi moins intéressant, du moins au regard des sciences.
Le clitoris toutefois continue par la suite à fasciner les médecins du côté de la pathologie. Un organe trop grand - qui fait même douter de la nature féminine au regard de l’hermaphroditisme - pourrait causer un grand nombre de maladies en lien avec la sexualité : la nymphomanie, par exemple. A ce titre, on pratique une chirurgie du clitoris, qui peut se solder par son amputation et qui prend le nom de Clitoritomie : « Nom donné par les chirurgiens à une opération qui consiste dans l’amputation du clitoris au moyen d’un simple coup de ciseau ou de bistouri, et qui se pratique surtout chez les jeunes filles ou les femmes adonnées à la masturbation » pouvait-on lire en 1887 dans le Dictionnaire populaire de médecine usuelle d’hygiène publique et privé.
C’est précisément plutôt du côté des dangers et des anomalies sexuelles que l’on va envisager le clitoris dès la fin du XIXe siècle. C’est ainsi que, dans le Larousse médical illustré de 1924, le clitoris n’occupe que trois lignes sans image et avec cette définition laconique : « Organe érectile de la femme, analogue au gland du pénis mais non percé comme lui pour le passage de l’urètre. Il est situé au-dessus de la vulve ».
C’est seulement à partir des années 1960 et des nouvelles recherches en sexologie qu’on va pouvoir redécouvrir le plaisir - clitoridien - des femmes. C’est notamment à partir de la fin des années 1990 que le clitoris retrouve le statut d’objet scientifique par les recherches de la médecin urologue Helen O’Connel (1998). Plus récemment modélisé en 3D, il est aujourd’hui remis au devant de la scène avec ses bulbes et ses piliers. Aurait-on enfin trouvé le vrai clitoris ?
Références :
Sylvie Chaperon, « « Le trône des plaisirs et des voluptés » : anatomie politique du clitoris, de l’Antiquité à la fin du XIXe siècle », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, 118 | 2012, p. 41-60.
Delphine Gardey, Politique du clitoris, Textuel 2019.
Pour citer cet article : Francesca ARENA, "Clitoris", dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2020.