Charles Le Verrier, Forgez votre autorité, Paris, Éditions de l’Institut Pelman, 1947.
Reposant sur des techniques de psychothérapie appliquées au conseil en management, le coaching, formalisé dans les années 1980-1990 aux États-Unis et introduit peu de temps après en France, est-il le signe d’une humanisation du capitalisme comme l’affirment ses promoteurs ou bien le chantre d’une instrumentalisation de la subjectivité comme le fustigent ses critiques ? Une vaste enquête ethnographique auprès de coachs, de DRH et de cadres coachés permet de saisir qui sont les coachs, leurs pratiques et les usages organisationnels de cette prestation. Défini comme « l’accompagnement de personnes pour le développement de leurs potentiels et de leurs savoir-faire dans le cadre d’objectifs professionnels », le coaching consiste en une série d’entretiens, confidentiels et réguliers, entre une ou un coaché, le plus souvent cadre d’une organisation, et une ou un coach, en général consultant externe à cette dernière.
Mobilisant des techniques de développement personnel inspirées de la contre-culture des années 1960, le coaching prend son essor face à des mutations du travail et des organisations (tertiarisation, organisation du travail flexible et en flux, diffusion des technologies numériques) qui ont rendu cruciale la circulation de l’information et érigé la réactivité, la prise d’initiative et la coopération en compétences clé. Il ne s’agit plus de diriger par le statut (je suis le chef donc tu m’obéis) mais de mobiliser par le sens et la relation. Ce discours néo-managérial peut également séduire des salariés qui aspirent à l’autonomie, désamorçant une critique du capitalisme. C’est le tournant personnel du capitalisme, qui attribue une valeur productive aux dimensions réputées personnelles de celles et ceux qui travaillent, à leur « personnalité » érigée en savoir-être et à leur « projet ». Que produit en pratique ce dispositif ambivalent, signe des affinités électives entre développement personnel et capitalisme ?
Au sein des grandes organisations, les recours au coaching sont largement prescrits, selon le terme usité, aux cadres par leur supérieur hiérarchique ou par la direction des ressources humaines. Mandaté pour développer les « compétences relationnelles » des managers, le coaching les amène à modifier leur communication et leur présentation de soi dans le sens d’une euphémisation des rapports statutaires de pouvoir. Il leur apprend, via des modèles de personnalité simplifiés, à se mettre à la place de leurs interlocuteurs, afin d’apaiser les tensions nées du travail. Cependant, à rebours de son mandat, il peut aussi jouer un rôle de rappel à l’ordre hiérarchique, quand la relation en jeu est celle entre le cadre et … sa hiérarchie. Il rappelle alors aux cadres qu’ils doivent rester à leur place dans des organisations qui demeurent hiérarchiques – en contradiction avec le discours néo-managérial.
Plus largement, il leur enseigne une rationalisation de leur comportement, une maîtrise accrue de leurs affects, qui passe par l’expression de leur vécu professionnel et son traitement dans le huis clos du coaching. Le coaching leur apprend à effectuer un travail d’hygiène psychique, qui développe leur réflexivité et leur autocontrôle dans les situations professionnelles. Cette hygiène psychique passe aussi par un travail d’organisation et de discipline personnelle pour faire face aux difficultés temporelles de travail (urgence, débordement sur la sphère privée ou encore multi-activité). Les coachs leur enseignent de planifier tout ce qui peut l’être, de faire preuve, dans leurs relations de travail, de ce qui se décline en une hygiène des territoires et de cloisonner vie personnelle et vie professionnelle – des techniques de rationalisation qui sont, là encore, éloignées de l’idéal d’agilité et de créativité prôné par le discours du néo-management. Pour paradoxale que soit cette hygiène psychique, qui tend de surcroît à devenir un idéal à atteindre, une nouvelle voie de salut synonyme, en soi, de performance, de bien-être et d’une carrière réussie, il ne faut pas négliger le soutien apporté aux cadres, confrontés à des épreuves professionnelles qui surviennent dans des contextes de travail interdépendants et traversés de contradictions organisationnelles.
Toutefois, tout en équipant les cadres concernés – qui figurent déjà parmi les mieux formés au sein des entreprises – en techniques d’hygiène psychique, le coaching reporte sur eux, en tant que personne, la responsabilité des difficultés professionnelles et de leur bonne résolution. Les problèmes de travail, de relation d’encadrement, de temporalité ou encore de carrière, sont imputés à la personnalité du cadre, qui manquerait de savoir-être, masquant leurs dimensions productives et organisationnelles. Le coaching contribue alors à défausser les entreprises d’une réflexion proprement organisationnelle. Il a ainsi des effets conservateurs, tout en offrant un soutien à l’individu, institué en nouveau régulateur des tensions au travail. Avec le risque supplémentaire que, face à des difficultés structurelles persistantes, l’individu ne se considère pas à la hauteur de ces attentes, entretenant un phénomène qualifié de burnout.
Prolonger la lecture sur le dictionnaire : DSM (Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles Mentaux) - Psychose d'actualité
Références :
Salman Scarlett, Aux bons soins du capitalisme. Le coaching en entreprise, Presses de Sciences Po, domaine Travail, 2021.
Salman Scarlett, « Aux sources du coaching et de ses morales. Généalogie des relations entre psychologie et management (1930-2018) », Ethnologie française, XLIX, n°4, 2019, p. 653-670.
Pour citer cet article : Scarlett Salman, "Coaching", dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2023.