Bodo Wentz, Fallsucht, Keramik, 1983, Deutsches Epilepsiemuseum Kork in D-77694 Kehl-Kork.
Le 3 octobre 2016, un sondage réalisé par l’institut Odoxa, commandé par la Fondation Française pour la Recherche sur l’Épilepsie, montrait qu’un Français sur dix jugeait l’origine de l’épilepsie comme étant surnaturelle, et près de sept Français sur dix seraient prêts à exclure l’épileptique. Aujourd’hui encore, l’épilepsie souffre d’une image négative dans notre société, liée en partie à un manque de connaissances des populations.
Pendant des siècles, la « maladie sacrée », comme l’appelait Hippocrate, a suscité la répulsion de la société. Du fait de la violence des accès épileptiques, le souffrant a été marginalisé. Au Moyen Age, le mystère qui recouvrait une maladie jugée surnaturelle favorisait un traitement médical ésotérique. En Normandie, on utilisait des amulettes gravées aux noms des rois mages pour soigner les souffrants. Au XIXe siècle l’abbé Julio préconisait l’usage d’une prière évoquant les rois mages soufflant à l’oreille des épileptiques pour les guérir. Avant l’introduction du phénobarbital en 1912, les traitements de l’épilepsie se faisaient à partir des bains, des opiacés, de la belladone et des sels de bromures. Surnommés la « muselière de l’épilepsie », ces derniers avaient un effet relaxant et anticonvulsivant, mais avaient parfois un effet néfaste sur le long terme, comme d’éventuels troubles du comportement, de la marche, du langage, ou encore de la mémoire.
Le XIXe siècle fut aussi marqué par des débats concernant le statut de ces malades. En Angleterre, dès 1860, les autorités sanitaires créèrent un centre médical spécialisé : The National Hospital for the Paralysed and Epileptics. Dix ans plus tard, le neurologue britannique John Hughlings Jackson montra que cette maladie était liée à un dysfonctionnement neuronal. Il proposa en 1870 la théorie selon laquelle l’épilepsie pourrait être causée par des décharges électriques dans la région du cortex et l’associa donc à un trouble neurologique et non pas psychiatrique.
À l’inverse, en France, jugée incurable, cette maladie était associée à un trouble psychiatrique. Ainsi le sort des épileptiques était lié à celui des insensés, justifiant leur éviction de la société. Le premier lieu auquel les politiques pensèrent pour leur prise en charge fut l’hospice civil, mais l’engorgement de ces espaces posait problème. N’ayant aucune alternative, la décision fut prise d’enfermer les épileptiques dans les prisons. La « punition divine » devint punition administrative. Les épileptiques se retrouvèrent donc souvent internés dans les hospices des prisons aux côtés des criminels jusqu’à la multiplication des asiles d’aliénés départementaux, notamment à partir du vote de la loi de 1838.
L’école aliéniste française, celle d’Esquirol, pensait que l’épileptique devait être placé dans un établissement asilaire pour son propre bien et celui des autres, mais la réalisation de quartiers asilaires dédiés à l’épilepsie fut l’objet d’un long débat sans solution durant ce siècle. A l’exception des centres parisiens réputés, les hospices de la Salpêtrière et de Bicêtre où officient Delasiauve, Voisin et Calmeil, les premiers établissements de province dédiés à l’épilepsie sont religieux. Les religieuses de la congrégation Saint Vincent de Paul s’occupèrent ainsi des souffrants de la « maladie sacrée » en ouvrant l’asile de la Teppe dans l’actuelle région Rhône-Alpes. Les asiles de la Force, créés près de Bergerac en Dordogne par John Bost, étaient le pendant protestant de ce type d’institutions nouvelles. Au sein même de cet asile les épileptiques furent aussi séparés des autres patients avec la création du pavillon Eben-Hezer, qui accueillaient près d’une cinquantaine de patients.
Au XIXe siècle, deux conceptions cohabitaient donc entre psychiatrie et neurologie. Il faut attendre le début du XXe siècle pour que soit créée la Ligue Internationale contre l’Epilepsie (1909), qui participe à l’éducation de la population, des patients et des soignants, qui promeut la recherche et améliore la prévention, le diagnostic et le traitement. L’épilepsie s’inscrit dans le champ de la neurologie à partir des études du neurologue allemand Hans Berger, qui fut le premier à enregistrer une crise à l’aide d’un nouvel appareil : l’Électroencéphalogramme. Cela permit d’offrir un diagnostic fiable de la maladie, et consacra l’arrivée de la chirurgie dans le champ des traitements possibles.
Références :
Anne Beaumanoir, Joseph Roger, Une histoire de l’épileptologie francophone, Editions John Libbey, 2006.
Oswald Temkin, The falling Sickness a history of epilepsy from the Greeks to the beginning of Modern Neurology, John Hopkins Press. Baltimore 1971.
Pour citer cet article : François Lepotier, "Epilepsie", dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2020.