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Dictionnaire Politique d'Histoire de la Santé

Fièvre puerpérale

La fièvre puerpérale a été considérée pendant longtemps comme une maladie féminine, détournant ainsi le regard des médecins sur sa véritable origine : l’absence d’hygiène et la prolifération des bactéries. R. Thom, Semmelweis: defender of motherhood, 1961.La fièvre puerpérale a été considérée pendant longtemps comme une maladie féminine, détournant ainsi le regard des médecins sur sa véritable origine : l’absence d’hygiène et la prolifération des bactéries. 

 

   Le 6 avril 1858, le docteur Antoine Constant Danyau, chirurgien à la Charité de Paris, faisait le point sur les recherches consacrées à la fièvre puerpérale devant l’Académie de Médecine. Il signalait que des épidémies de cette fièvre s’étaient propagées  “aux femelles même des animaux domestiques, aux chiennes, par exemple, dans l'épidémie observée à Londres en 1787 et 1788, et dans celle de 1821 à Edimbourg, ainsi qu'aux vaches, qui vêlèrent à cette époque dans plusieurs parties de l'Ecosse, enfin aux poules pondeuses des environs de Prague dans l'épidémie de 1835 » (Danyau 1858). La nouvelle fit le tour du monde devenant « un fait scientifique » cité par Stéphane Tarnier, le très célèbre obstétricien dans son traité sur la fièvre puerpérale (Tarnier 1858 ). L’anecdote était censée démontrer sur des bases empiriques le caractère contagieux et épidémique de la fièvre puerpérale. 

 

   En effet les femmes qui allaient accoucher dans les hôpitaux décédaient nombreuses d’une épidémie dont on ignorait les causes et que les médecins avaient commencé à signaler déjà au XVIIIe siècle (Tenon 1788), c’est-à-dire au moment où la pratique d’accoucher à l’hôpital débutait. Cependant à la moitié du XIXe siècle, le progrès scientifique était en plein essor et déjà de nombreux médecins avaient montré que le fait d’être des « femelles » n’avait rien à voir avec les causes de la fièvre puerpérale qui était causée par le manque d’hygiène.  Le médecin le plus malheureusement connu est sans doute Ignác Fülöp Semmelweis, obstétricien hongrois, qui, après des années de recherches et preuves scientifiques à l’appui, avait publié en 1858, A gyermekágyi láz kóroktana, puis en 1861, Die Aetiologie, der Begriff und die Prophylaxis des Kindbettfiebers. Dans ses écrits, Semmelweis insistait sur l’importance de se désinfecter les mains avant de toucher le vagin ou le col de l’utérus des femmes.

 

   Pourtant ses hypothèses furent réfutées en grande partie et ses textes restent non traduits. Semmelweis mourut d’infection bactérienne à la suite des maltraitances subies à l’asile où il avait été interné.

 

   Ce qui est le plus étonnant dans l’histoire de la fièvre puerpérale est que, malgré les découvertes scientifiques (entre autres l’identification de la bactérie responsable de la fièvre puerpérale), les dispositifs biomédicaux mis en place (les solutions désinfectantes pour les mains),  les nouvelles techniques d’accouchement adoptées, il aura fallu encore un siècle pour que les pratiques sanitaires se transforment. C’est en effet seulement à partir de la deuxième moitié du XXe siècle - deux siècles après les premières observations sur le caractère contagieux de la fièvre puerpérale - que le taux de mortalité des femmes qui accouchaient chute véritablement (Gutierrez, Houdaille 1983). Comment interpréter cette inertie ? 

 

   L’anecdote des chiennes et des vaches britannique et des poules de Prague citée au début de cette notice explique en partie ce quiproquo mortifère. Pour une très longue période, certains médecins, scientifiques, personnels sanitaires restent persuadés que les femmes mouraient en accouchant car il y avait quelque chose dans ce corps de femme d’intrinsèquement pathologique : la fièvre puerpérale avait en somme une étiologie essentiellement endogène et non exogène. Et même lorsqu’on a pensé à la prépondérance d’un facteur extérieur - Hippocrate déjà dans les Epidémies reliait causes externes et internes pour les fièvres des accouchées - (Hippocrate, Œuvres complètes, Littré vol. 3 : Épidémies Livre III, Paris, J.-B., Baillière, 1841, pp. 109-113), cela n’a pas empêché qu’on puisse continuer à penser qu’on était face à une maladie féminine, retardant dans les pratiques médicales la mise en place de protocoles  antiseptiques systématiques.

Francesca Arena - Université de Genève - IEH2

Références :

Francesca Arena, Elsa Dorlin, « Introduction : Chiennes », Comment s’en sortir ?, n° 6, Hiver 2018, p. 1- 8.

Scarlett Beauvalet, « La tragédie des maternités hospitalières au XIXe siècle et les projets de réaménagement »Spirale, 2010/2 (n° 54), p. 21-29. 

Pour citer cet article : Francesca Arena, "Fièvre puerpérale", dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2020.

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