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Dictionnaire Politique d'Histoire de la Santé

Gaucher

Aujourd’hui être gaucher n’a pas de connotation négative. Au XIXe siècle, les gauchers avaient une situation bien différente.Séance de lecture, Ecole de garçons de Damvillers - Leçon d'écriture n°2. 1899. Musée. National de l'Éducation.

 

Aujourd’hui être gaucher n’a pas de connotation négative. Au XIXe siècle, les gauchers avaient une situation bien différente.

 

     La gaucherieest un phénomène physique qui traduit une prédominance manuelle de la main gauche, présente chez environ 10 % à 15 % de l’humanité. Le mauvais regard porté sur cette minorité est très ancien puisque déjà dans les prémices de la religion chrétienne, être gaucher est symbole de maladresse, de manque d’aisance et on qualifie même ce phénomène de mauvais présage. Au Moyen-Âge les gauchers sont associés aux maux de la société et cela se poursuit à l’époque moderne, époque à laquelle ils sont considérés comme des boucs émissaires. À partir de la seconde moitié du XVIe siècle, les gauchers sont alors en partie exclus de la société puisqu’on leur interdit d’utiliser leur main gauche pour effectuer les principaux actes de la vie quotidienne. Cette décision vise à rectifier cette anomalie pour que le gaucher devienne droitier dans la sphère publique et à la vue du reste de la population.

 

    Au XIXe siècle le gaucher entre dans la catégories des anormaux physiques, la gaucherie étant interprétée comme un stigmate physiologique de la dégénérescence, selon une théorie très en vogue qui désigne le fait de perdre les qualités naturelles de sa race ou de son espèce. Différents profils d’individus ont été ensuite associés à la gaucherie : étrangers, prolétaires, schizophrènes, déficients. Le fait d’être gaucher a été aussi longtemps associé à des facteurs criminogènes. En effet, le grand criminologue de la fin du XIXe siècle, Césare Lombroso fait de la gaucherie un stigmate de dégénérescence, de dérèglement psychique, d’infériorité raciale. Il affirme que la gaucherie constitue la règle chez les personnes souffrant de troubles de la personnalité. Parmi les grandes affaires connues associées à la gaucherie, on peut citer l’exemple de Jack l’Éventreur, le grand tueur en série anglais de 1888, qui aurait commis tous ses meurtres de la main gauche. Cette affaire permet d’évoquer un concept appelé le mancinisme qui est une sorte de gaucherie généralisée affectant les membres et les sens. La science de l’époque  établit donc clairement un lien entre le fait d’être gaucher et le fait d’être déviant et malfrat. 

 

    Cette déviance touche aussi au domaine de la sexualité. En effet, la gaucherie est considérée comme la prévalence du sexe opposé dans le corps d’un individu. Selon certains scientifiques, la différence entre gaucherie et droiterie rend par exemple compte de la différence entre hétérosexualité et homosexualité. L’homosexualité était donc associée aux gauchers ce qui les plaçait dans une situation de déviance car la pratique reste pénalisée jusqu’en 1982 en France. Il en va de même pour la prostitution féminine, la pédérastie et toutes les autres déviances sexuelles que pouvaient connaître la société et qui sont toujours associées à des personnes gauchères. 

 

    On peut enfin évoquer que le terme de gauchisme en politique a été à la base appliqué à partir des années 1860 aux gauchers et était donc accompagné d’une connotation négative par la société. On peut faire l’hypothèse ici que la société étant très conservatrice, les hommes politiques jugeaient la main droite comme parfaite alors que l’émergence du socialisme radical est associée à la main gauche car jugé déviant.  

 

    Vers la fin du XIXe siècle, l’exclusion des gauchers au sein de la société a été également entretenue par une nouvelle institution : l’école. Les gauchers ne rentrent pas dans les normes de la société. À l’école, on éduque donc les enfants à écrire de la main droite comme nous pouvons le voir sur la photographie. On leur apprend également à se servir de leur main droite pour toutes les activités de la vie quotidienne.  

 

    Les enjeux scientifiques et politiques de la gaucherie sont donc très forts, car on sait qu’une personne sur 10 environ est gauchère et cela revient donc à discriminer une part non négligeable de la société. Aujourd’hui la situation des gauchers s’est grandement améliorée. En effet, même si la gaucherie reste accompagnée de nombreux préjugés, les gauchers ne sont plus exclus ou malmenés comme ils l’ont pu l’être autrefois. Être gaucher aujourd’hui apparaît enfin très important dans certains milieux comme le sport où l’on retrouve notamment plusieurs légendes gauchères comme Lionel Messi ou encore Rafael Nadal. 

Néo Goussé - Le Mans Université

Références :

Pierre-Michel Bertrand, Histoire des gauchers : des gens à l’envers, Imago, 2001. 

Anna Renaud, La main gauche, mémoire soutenu en 2016, Université Nice Sophia Antipolis - Département d'orthophonie.

Pour citer cet article : Néo Goussé, "Gaucher", dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHis, Le Mans Université, 2022.

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