Le maréchal Pétain et Raymond Grasset au chevet d'un blessé. Photogramme tiré du Journal France Actualités, "Bombardement de Clermont Ferrand", 24.03.1944 (00:31).
Né en 1892 dans la commune de Riom dans le Puy-de-Dôme, Raymond Grasset est médecin. Il soutient sa thèse de doctorat devant la faculté de Paris le 6 juin 1914, peu avant le déclenchement de la guerre. Suite à la mobilisation générale, il est intégré le 13 août de la même année au 105e régiment à Riom. En tant que médecin, Raymond Grasset se porte volontaire et devient infirmier sur le front le 23 août 1914. Malgré une blessure à l'œil droit à la suite de la bataille de Verdun, celui-ci parvient à convaincre ses supérieurs de rester auprès des troupes et à continuer d’exercer ses fonctions soignantes.
A son retour de la guerre, il travaille comme médecin généraliste dans un hôpital de la Croix-Rouge à Clermont-Ferrand. En tant que mutilé de guerre, il fonde en 1919, à Clermont-Ferrand, la maison des mutilés où sont organisés des soins, consultations, et délivrées des aides à la reconversion dans le monde du travail. Il demeure président de cette structure associative jusqu’en 1940. Son attachement aux mutilés de la Grande Guerre ne s’arrête pas là. Il est élu, en 1924, vice-président de l’Union fédérale des associations françaises d’anciens combattants, défendant les victimes de la guerre et leur patrimoine matériel comme moral. Ses nombreuses fonctions lui donnent l’occasion de défendre assidûment la réintégration des soldats blessés dans la société. Il publie d’ailleurs en 1923 une étude médico-légale sur les trépanés.
Puis Raymond Grasset s’intéresse à la politique. En 1926, il devient Conseiller Général du Puy-de-Dôme en tant que représentant du parti radical-socialiste. Il se rapproche alors de Pierre Laval, originaire également du Puy-de-Dôme, qui est déjà connu comme avocat, ministre et entrepreneur de presse locale notamment dans son département d’origine. Ses valeurs politiques, ses réseaux, que ses expériences dans la santé permettent à Grasset d’être élu, en 1928, au syndicat médical du département du Puy-de-Dôme.
On sait peu de choses sur ses activités dans les années 1930, mais son ascension en 1940 apparaît fulgurante. Après l’armistice et la mise en place de l’Etat Français, du 15 octobre 1940 jusqu’en août 1942, au vu de ses antécédents militaires, de ses actions au sein du département en faveur des anciens combattants et de ses opinions politiques, Raymond Grasset est désigné comme président départemental de la Légion Française des combattants. La Légion rappelons-le est l’organe de la mission patriotique de Vichy créée dans le but de reconstruire l’État français après de la défaite de 1940 en s’appuyant notamment sur les liens qu’ont préservés les combattants de la Grande guerre. La plupart des membres de la LFC sont donc issus du regroupement entre l’Union fédérale, auquel Grasset participait, et l'Union nationale des combattants. Au sein de cette mission locale, Raymond Grasset organise diverses actions à l’échelle du département du Puy-de-Dôme. Avec l’aide de la Croix-Rouge, des colis sont par exemple envoyés aux prisonniers détenus en Allemagne. Les blessés de guerre et leurs enfants sont soutenus moralement et aidés à réintégrer le monde du travail.
Le retour de Pierre Laval, le 18 avril 1942, comme chef de gouvernement permet à Raymond Grasset d’accéder au poste de secrétaire d’État au ministère de la famille et de la santé jusqu’en mars 1944. Il succède à un autre ancien combattant, Serge Huard qui a favorisé de nombreuses réformes dans le champ de la pharmacie, de l’hôpital et de l’organisation des professions de santé entre 1940 et 1942 (rappelons que le conseil de l’ordre des médecins date de 1940). Ensuite il est nommé ministre de la santé publique jusqu’au 19 août 1944, c’est-à-dire jusqu’à la fin du régime de Vichy.
Trois mois après la mise en place du gouvernement de Vichy, les syndicats médicaux dont Grasset est membre, sont dissous pour être remplacés par l’Ordre des médecins en octobre 1940. L’Ordre est dirigé par un Conseil Supérieur de douze membres nommés par le gouvernement lui-même. Vichy contrôle ainsi l’Ordre et impose différents codes déontologiques sur les professions médicales et sur les actes médicaux. En contrôlant l’Ordre des médecins et en supprimant les syndicats médicaux, Vichy ne rencontre plus d’obstacles sur la mise en place de sa politique sur la santé notamment nataliste, anti avortement et antisémite. Suite à sa nomination, Raymond Grasset rétablit l’électorat du Conseil Supérieur en septembre 1942, les syndicats médicaux reprenant indirectement le contrôle de l’Ordre.
Au sein du gouvernement, Raymond Grasset met en œuvre, en tant que Ministre de la santé la politique répressive et autoritaire de Vichy à l’égard de l’avortement. Dans le cadre d’une politique nataliste, l’avortement paraît comme un obstacle et est qualifié rapidement de « fléau national » dans les travaux médicaux comme la thèse de Jean Roy (1943) : L’avortement, fléau national. Cette politique anti-avortement est défendue par Grasset dans le cadre d’une politique plus large hostile aux méthodes de stérilité volontaire, à l’homosexualité et aux maisons closes. Cette repression a des conséquences : on passe de 1225 condamnations pour avortement en 1940 à 4000 en 1944. C’est aussi durant son ministère que les malades mentaux sont massivement morts de faim, une histoire sur laquelle l’historienne Isabelle von Bueltzingsloewen a écrit un livre clair qui permet de ne pas confondre cet événement avec la politique d’élimination systématique des malades mentaux par les autorités allemandes.
Au sortir de la guerre, les tribunaux de l’épuration ont assez largement épargné Grasset. Jugé pour « atteinte à la sûreté de l’État », celui-ci réussit comme d’autres à se dédouaner de sa culpabilité en mettant en avant ses actes de résistance, dont la mise à l’abri de 4000 étudiants en médecine astreints au Service du Travail Obligatoire, largement mis en scène dans ses mémoires. Il obtient finalement en décembre 1947 un non-lieu. En 1956, il publie un ouvrage autobiographique : Au service de la médecine, chronique de la santé publique durant les saisons amères. Il décède en 1968.
Prolonger la lecture sur le dictionnaire : Avortement
Références :
Cyril Olivier, Le vice ou la vertu : Vichy et les politiques de la sexualité, Presses universitaires du Mirail, Toulouse, 2005.
Raymond Grasset, Au service de la médecine, chronique de la santé publique durant les saisons amères, 1942-1944 (lettre-préface de Georges Duhamel), Clermont-Ferrand, Imprimerie de G. de Bussac, 1956.
Pour citer cet article : Léon Decrand, "Raymond Grasset", dans H. Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2024.