Allocution du président Donald J. Trump le vendredi 24 janvier 2020 (Andrea Hanks).
Cette question n’a cessé de revenir sur le devant de la scène politique étatsunienne depuis la première campagne de Donald Trump et sa deuxième investiture à la présidence en 2020.
En 2016, sous la houlette du psychologue universitaire William Doherty, 2200 spécialistes de la santé mentale ont signé un manifeste qui mettait les citoyens en garde contre une potentielle élection du candidat républicain. Le 20 avril 2017, la psychiatre et criminologue Bandy Lee organisa à l’université de Yale une conférence centrée sur la personnalité de Donald Trump, intitulée « Duty to warn » (Devoir d’avertir). Ces initiatives, dans un contexte politique tumultueux, soulignaient le conflit entre le désir, légitime, de professionnels de la santé d’émettre un avis dont pourraient s’emparer les citoyens dans le cadre du jeu démocratique, et la réserve, voire la confidentialité, que leur imposent déontologie et pratique médicale. Mais, le débat interne qui agitait l'American Psychiatric Association (APA) n’était pas nouveau.
En 1964, la psychiatrie s’invite déjà aux élections nord-américaines qui voient s’opposer le président démocrate sortant, Lyndon Johnson, et le sénateur républicain Barry Goldwater. Quatre ans plus tôt, ce dernier a rédigé un ouvrage intitulé The Conscience of a Conservative dans lequel il détaille les principes moraux qui guident son programme. Cette bible politique conservatrice devient très rapidement un best-seller. En un mois de vente, la profession de foi du candidat républicain atteint le dixième rang du classement établi par Times. En tout, 4 millions d’exemplaires seront vendus.
En plein mouvement de lutte pour les droits civiques, plusieurs représentants influents de la presse, en grande partie acquise aux idées progressistes de Johnson et à son bilan économique positif, s’échinent à torpiller la campagne de Goldwater qui s’est aussi aliéné l’aile républicaine modérée. Parmi les journalistes les plus critiques, on trouve Ralph Ginzburg, rédacteur chez Esquire. Défenseur acharné de la liberté d’expression et de mœurs, il s’est fait remarquer avec la publication en 1958 d’une monographie préfacée par le psychanalyste Theodor Reik. An unhurried view of erotica prétendait offrir au lecteur un panorama érudit de la littérature érotique de langue anglaise à travers les âges. En 1962, il crée un magazine sobrement intitulé Eros, qui lui vaut d’être condamné pour pornographie après avoir notamment causé un scandale en publiant une série de clichés du photographe Ralph M. Hattersley Jr qui mettait en scène un homme noir et une femme blanche, dénudés et tendrement enlacés.
Peu échaudé par ces démêlés avec la justice, Ginzburg lance un magazine à sensation, Fact. Le cinquième numéro, publié en septembre-octobre 1964, titre : « 1 189 psychiatres affirment que Goldwater est inapte à la présidence. » En fait, une série de questions au sujet de l’état mental de Barry Goldwater ont été envoyées à 12 356 psychiatres. Seule une minorité d’entre eux ont pris la peine de répondre et se sont prononcés contre son élection. Pourtant, cet article est une aubaine pour le candidat démocrate Lyndon Johnson : son équipe parodie le slogan de Goldwater “In your heart you know he’s right” (« Dans ton cœur, tu sais qu’il a raison ») qui devient dans des spots TV “In your guts, you know he’s nuts.” (« Tes instincts te disent qu’il est fou. »)
Si Goldwater remporte le procès pour diffamation qui l’oppose à Ralph Ginzburg, sa défaite aux élections présidentielles est cuisante. Lyndon Johnson est réélu avec 61,1 % des voix et il remporte 44 états. Mais la controverse ne s’arrête pas là. En 1973, la section 7 de la publication Principles of Medical Ethics introduit une nouvelle règle éthique, connue sous le nom de Règle Goldwater, à destination des membres de l’American Psychiatric Association. Ils doivent désormais s’abstenir de communiquer tout diagnostic d’une personnalité publique sans son consentement et hors pratique thérapeutique. Le 16 mars 2017, la visée de l’interdiction est étendue : elle inclut désormais tout commentaire à propos du comportement d’une célébrité. Ce durcissement de la règle initiale n’a pas dissuadé Bandy Lee ou d’autres psychothérapeutes tels que John Gartner, à l’origine d’une pétition exigeant la destitution de Donald Trump, de continuer à alerter l’opinion publique. A quelques mois de l’élection présidentielle de 2020, le documentaire Unfit : The Psychology of Donald Trump a ainsi réuni des témoignages de professionnels de la santé mentale qui dépeignent le Président en dangereux narcissique aux tendances sadiques. Nul doute qu’en dépit de la défaite de Trump, le besoin exprimé par certains thérapeutes d’alléger la règle Goldwater pour leur permettre de devenir lanceurs d’alerte continuera d’irriguer les questionnements éthiques sur la déontologie psychiatrique nord-américaine.
Références :
John Martin-Joy, “Images in Psychiatry. Goldwater v. Ginzburg”, American Journal of Psychiatry, 2015, 172.
Jerome Kroll, Claire Pouncey, “The ethics of APA's Goldwater rule”, Journal of the American Academy of Psychiatry and the Law, 2016, 44.
Pour citer cet article : Nausica Zaballos, "Règle Goldwater", dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2021.