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Dictionnaire Politique d'Histoire de la Santé

Hypnose musicale

La musique est-elle thérapeutique ? La question est posée au XIXe siècle dans le cadre de la grande mode de l’hypnose.« Soirée chez un artiste », gravure, L’Illustration, 19 mai 1855. (© Collection Frigau Manning).

    La musique est-elle thérapeutique ? La question est posée au XIXe siècle dans le cadre de la grande mode de l’hypnose.

 

    La musique associée à l’hypnose peut-elle transcender la douleur ou les capacités humaines ? La question est cruciale au XIXe siècle. Les séances d’hypnose, alors courantes, reposent sur l’immersion d’un sujet hypnotisé dans un théâtre d’images intérieur, mais dont le corps et le regard, tant absent qu’absorbé, livre des signes et gestes. Il devient objet de spectacle pour l’hypnotiste et pour une assistance mêlant praticiens et simples curieux, monde de la science ou monde de l’art. Or si l’hypnose active un triple niveau de regards – ceux de l’hypnotiste, de l’hypnotisé et du spectateur –, elle réserve à la musique une place cruciale. C’est ce que documentent nombre de sources du temps : textes médicaux et scientifiques, musicaux ou littéraires, presse, témoignages et iconographie. 

 

    La musique se combine à l’hypnose dans des situations variées, propices au récit. Quelques années avant la Révolution française, dans une ambiance calfeutrée, des aristocrates en quête de thérapies nouvelles s’immergent au son de musiques douces dans les baquets de Mesmer. Quant au magnétiseur Charles Lafontaine, il demande à un célèbre musicien des années 1860 de tenir le piano et fait danser une paralytique. 

Les médecins ne sont pas en reste. « Écoute la musique », dit l’un, et son patient hypnotisé d’entendre un concert imaginaire et de battre la mesure. En Écosse au milieu du XIXe siècle, le chirurgien James Braid, inventeur du terme d’« hypnotisme », fait chanter un sujet par une pression sur le crâne au-dessus de la protubérance correspondant pour les phrénologues à « la bosse » du son. Au tournant du XXe siècle à Turin, l’aliéniste et anthropologue criminel Cesare Lombroso dit à un étudiant sous hypnose qu’il est Gioachino Rossini ; et le voilà qui consigne la partition de la prière de Mosè in Egitto. Charles Henry, futur directeur du Laboratoire de physiologie des sensations à la Sorbonne, mène pour sa part des expériences d’électrisation sur une femme hypnotisée, dont les mouvements modulés au gré de la musique sont transposés sous la forme d’impacts électriques par les vibreurs reliés à son corps. 

 

    Musique ou musicien peuvent produire un effet hypnotique. Un air de l’Aida de Verdi cause une telle action sur un spectateur que son voisin médecin, Felice Della Torre, en profite pour lui écraser le pied à titre expérimental, constatant que le message de la douleur ne parvient à son cobaye qu’en différé. C’est au son d’une musique lancinante, note le professeur Hippolyte Bernheim, spécialiste de l’hypnose et de la suggestion, fondateur de l’École dite de Nancy, que les membres d’ordres musulmans comme les derviches tourneurs ottomans se servent du mouvement continu pour supprimer l’être conscient, ou que les Aïssaoua du Maghreb se livrent à des automutilations par le fer, le feu ou autres procédés. Au même moment, l’hypnose permet d’expliquer les pratiques des tarentulés du Sud de l’Italie. Et plus tard dans le siècle, des psychiatres convoquent l’hypnose pour traiter des pathologies sexuelles identifiées comme spécifiquement musicales.

 

    De tels exemples attestent la prégnance de la musique dans ses associations à l’hypnose au XIXe siècle, ainsi que la diversité de ses valeurs. Quand elle participe d’un dispositif dominateur, la musique renforce le pouvoir de l’hypnotiste autant qu’elle dramatise la démonstration publique. Elle est aussi mobilisée dans la prise en charge de la douleur qui résiste aux traitements traditionnels ou elle intervient lors de numéros précis, centrés sur des phénomènes spécifiques. « Indifférente à la musique que l’on joue, jusqu’au moment où je saisis son regard, elle se lève alors brusquement pour exécuter, comme un automate, les suggestions musicales. » Lorsqu’en 1900 le colonel de Rochas écrit ces mots, « l’extase sous l’influence de la musique » reste une performance répétée à l’envie, chargée d’effets esthétiques ou érotiques.


    Tout au long du XIXe siècle, la musique engage ainsi à repenser la relation hypnotique au-delà du duo hypnotiste-hypnotisé. En relançant les investigations scientifiques et les fascinations réciproques, le recours à la musique engage à explorer un faisceau de relations subjectives à la douleur, à la sexualité, à la spiritualité ou encore à l’art. Ce qui se joue alors, c’est une vaste réflexion sur la construction de la connaissance et les limites de la raison, déployée dans un registre spectaculaire où la musique ne vaut pas qu’en fonction d’un paradigme sonore ou auditif. Elle favorise en effet l’émergence d’un environnement sensoriel et d’un imaginaire puissants. Le pouvoir évocateur des noms de Chopin, Verdi ou Wagner, la force d’attraction d’un piano comme présence matérielle, symbolique, importent alors plus encore que leur action physiologique sur les corps et les esprits.

Céline Frigau Manning - Université Jean Moulin Lyon 3

Références :

Jacqueline Carroy, Hypnose, suggestion et psychologie. L’invention de sujets, PUF, 1991.

Céline Frigau Manning, Ce que la musique fait à l’hypnose. Une relation spectaculaire au XIXe siècle, Les presses du réel, coll. « Œuvres en société », 2021.

Pour citer cet article : Céline Frigau Manning, "Hypnose musicale", dans H. Guillemain (dir.), DicoPolHis, Le Mans Université, 2022.

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