Aux XVIIe et XVIIIe siècles, même s’il est admis que l’hystérie, qui serait liée à une supposée « suffocation de la matrice », est une maladie plus courante chez la femme, ses connotations genrées sont encore largement fluctuantes. Le discours médical pré-psychiatrique (chez Willis, George Cheyne, etc.) laisse une large place à la description des désordres nerveux chez l’homme, tantôt sous le nom d’hystérie, tantôt sous celui d’« hypochondrie ». À partir du début du XIXe siècle, cependant, s’impose l’idée que l’hystérie est la « maladie de femme » par excellence, quand bien même cette période est aussi celle de l’invalidation progressive de l’hypothèse d’une étiologie utérine qui a donné son nom à la maladie. L’idée d’une hystérie masculine cesse d’être discutée pendant plusieurs décennies.
Il faut attendre Paul Briquet, dont les travaux consacrent à la fin des années 1850 la thèse d’une origine neuro-cérébrale de l’hystérie, pour que cette idée ressurgisse. Jean-Martin Charcot, qui analyse l’hystérie en neurologue, s’inscrit dans la continuité de Briquet et va même plus loin en théorisant une hystérie « une et indivisible ». En pratique, l’hystérie masculine selon Charcot se trouve cantonnée à certaines catégories sociales – ouvriers et artisans – tandis qu’elle peut toucher toutes les femmes, sans exclusive. En dépit de cette restriction, Charcot ouvre une ère où prolifèrent les études sur « l’hystérie mâle » ou « virile ». Plusieurs thèses consacrées à ce sujet sont soutenues au milieu des années 1880. En 1886, Émile Duponchel, docteur au Val-de-Grâce, témoigne même de sa fréquence dans les rangs de l’armée. L’hystérie masculine se fait aussi une place, modeste, dans les statistiques des asiles. Elle s’épanouit en particulier dans le service du Dr Bourneville, à Bicêtre, sous la forme de l’« hystéro-épilepsie » qui atteint certains des jeunes garçons qui y sont internés.
Néanmoins, les résistances restent fortes face à la normalisation de l’hystérie masculine. De nombreux médecins réaffirment, en réaction, sa nature essentiellement féminine. Quand Sigmund Freud présente le 15 octobre 1886 une communication intitulée « De l’hystérie masculine » devant la Société de médecine de Vienne, il reçoit un accueil hostile. De l’avis général, l’hystérie masculine reste de toute manière infiniment plus rare que son équivalent féminin : Charcot lui-même s’accordait avec Briquet pour avancer que l’hystérie était vingt fois plus fréquente chez la femme que chez l’homme. Du moins en Europe : certaines études à prétention ethnographique, comme celle du Dr Collineau en 1887, avancent que l’hystérie masculine serait bien plus répandue chez les peuples « primitifs » et parmi les populations colonisées. D’autres écrits signalent la fréquence de l’affection chez les hommes juifs. L’hystérie masculine se range du côté de l’infériorité, de l’effémination et de l’anormalité. L’interprétation faite, à partir du déclenchement de la Première Guerre mondiale, du syndrome de shell shock porte la marque de ce cadre d’interprétation. Le diagnostic d’hystérie appliqué aux soldats traumatisés est associé à un manque de valeur morale et militaire ou au soupçon de la simulation.
Au XXe siècle, l’intérêt pour l’hystérie masculine est surtout à chercher du côté de la psychanalyse. Reprenant l’héritage de Freud, qui avait étudié de nombreux cas d’hystérie masculine, des auteurs comme Jacques Lacan, Charles Melman ou encore Jean-Pierre Winter analysent l’hystérie chez l’homme au prisme des catégories d’interprétation psychanalytiques. Néanmoins, l’hystérie, même chez l’homme, reste le plus souvent féminine : pour Lacan, « l’hystérique, homme ou femme, se pose inconsciemment [la question] : “qu’est-ce qu’être une femme ?” ». Comme on peut le lire dans une publication récente, l’hystérie est « le moment où le féminin [reprend le dessus] chez l’homme ». Dans la littérature psychanalytique, le lien est souvent fait entre hystérie masculine et homosexualité. L’hystérie chez l’homme continue à incarner une forme d’inversion ou de négatif de la virilité – tandis que chez la femme, elle exprime « positivement » la féminité.
Du reste, aucun de ces travaux ne parvient réellement à installer solidement l’idée d’une hystérie masculine, que ce soit dans les classifications savantes ou dans les représentations communes. Car la catégorie même d’hystérie se délite. Le terme disparaît en 1980 dans la 3e édition du DSM, le manuel de classification de référence. Sa symptomatologie persiste, de manière diffuse, dans d’autres catégories comme celle des « troubles somatoformes », ou encore dans la description de la personnalité « histrionique ». En marge des élaborations théoriques, l’hystérie comme diagnostic employé de manière plus ou moins officieuse dans les institutions de soin, comme terme du langage courant et comme insulte continue d’être presque exclusivement associée aux femmes.
Prolonger la lecture sur le dictionnaire : Andrologie - Asile - Délire féminin
Références :
Nicole Edelman, Les métamorphoses de l’hystérique. Du début du XIXe siècle à la Grande Guerre, Paris : La Découverte, 2003.
Mark S. Micale, Hysterical Men. The Hidden History of Male Nervous Illness, Harvard : Harvard University Press, 2008
Pour citer cet article : Anatole Le Bras, "Hystérie masculine", dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2023.