Logo DicoPolHiS
DicoPolHiS

Dictionnaire Politique d'Histoire de la Santé

Internement délicat

Dans le cas de placements volontaires, les familles ont recours à des subterfuges pour amener leurs malades à l’asile.Couverture de l'ouvrage L'AssiettE au Beurre, n°173, « Asiles et fous », 1904, par Aristide Delannoy.

   Dans le cas de placements volontaires, les familles ont recours à des subterfuges pour amener leurs malades à l’asile.

   La loi de 1838 relative à la prise en charge des individus souffrant de troubles mentaux, a créé un impact significatif sur la gestion de la folie par l’État et les familles. Cette loi propose deux types de placements à l’asile. Un placement d’office ordonné par un représentant de l’État (comme le préfet ou le maire), étayé par un certificat médical, ainsi qu’un placement volontaire effectué à la demande des familles des malades, également  confirmé par un médecin. Le placement d’office était minutieusement organisé par les rouages administratifs. Une fois le placement ordonné par le représentant de l’État, il s'ensuit le déploiement des forces de l’ordre pour escorter le malade en toute sécurité jusqu’à l’asile.
 

   Les placements volontaires étaient certes minoritaires dans les asiles du XIXe siècle mais de nombreux historiens les réévaluent, notamment en mettant en lumière le rôle des familles dans l’internement asilaire. L’internement volontaire était devenu la solution pour des familles devenues incapables, tant psychologiquement que physiquement et matériellement, de gérer un proche atteint d’aliénation mentale. Lorsque les familles optaient pour le placement d’un proche à l’asile, le transfert restait sous leur responsabilité. Parfois, ces dernières rencontraient l’opposition du malade à cet internement et devaient programmer la logistique pour conduire le malade à l’asile. Les familles se trouvaient ainsi dans l’obligation de mettre en place des stratégies d’adaptation pour faire interner le proche et l’amener physiquement à l’asile en toute sécurité, parfois en élaborant de véritables scénarios pour arriver à leurs fins. Dans ces cas, qui n'impliquaient pas le recours à la force publique, la gestion du malade se faisait le plus souvent en cachette, dans la violence dans certains cas. Ces actes, loin d'être simples, instauraient une certaine peur du regard du voisinage et de l’entourage.
 

   L’étude des dossiers médico-administratifs des archives de l’asile de Léhon dans les Côtes d’Armor, de 1890 à 1900, met en évidence ces difficultés auxquelles faisaient face les familles pour faire interner leurs proches. Parfois très opposant, le malade pouvait se révolter. Dans un courrier adressé au directeur, le père de Maurice L. relate, par exemple, de quelle manière il a mis deux jours à tenter de passer la camisole à son fils qui a fini par s’échapper : « C’est avec le cœur navré que je vous écris. Lundi dernier, je devais vous conduire Maurice, mais au dernier moment, il n’a pas voulu partir, menaçant de tuer tout le monde avec un couteau poignard qu’il s’était procuré je ne sais où. J’ai cherché des hommes pour lui mettre la camisole de force, mais cela a demandé 2 jours, de sorte que quand les hommes sont venus prendre mes ordres, il y avait quelques heures qu’il était parti emportant de l’argenterie avec lui. Les gendarmes le cherchent maintenant » (Dossier Maurice L AD22 H dépôt 13, 1894).

   Grâce aux dossiers médico-administratifs de l’asile, il est possible de retracer les flux logistiques des malades et les difficultés rencontrées par les familles dans la préparation d’un trajet jusqu’à l’asile, devenant parfois une véritable expédition. Entre les horaires de train à respecter, les attentes interminables et le transport de malles avec des trousseaux à expédier, le transfert du malade semblait être une tâche très ardue. Les contraintes horaires ferroviaires étaient un véritable casse-tête pour mener le voyage à bien. L’histoire de Louis R. rappelle la complexité de ces transferts : « Voilà comment je conçois la chose pratiquement. Votre homme viendrait jusqu’à l’abbaye la veille par Rennes, Chateaubriant et Abbaretz. Le départ de Dinan à 4h46 le mettrait à Abbaretz à 11h45. Étant avertis par lettre ou télégramme assez à temps, nous le ferions prendre à la gare distante de l’abbaye de 12 lieues. Le lendemain on partirait de l’abbaye dans l’avant midi et on arriverait à Dinan à 7h du soir.» (Dossier Louis R AD22 H dépôt 13, 1896).

   Une fois le voyage organisé, les familles pouvaient aussi mettre en place de véritables simulacres pour anticiper le refus éventuel du malade. Dans une lettre du frère d’Eugène R, en réponse à un télégramme du directeur, le subterfuge est dévoilé : « sans violence, il croit que je vais me soigner moi-même ». Le stratagème complexe est explicité : « j’accompagnerai le malade avec son oncle et un de ses beaux-frères par le train de 9h14 pour Rennes pour arriver à Dinan à 2h05, le 13 ou le 14 si impossibilité le 13. Ayez une voiture à la gare à nous attendre, qu’on fasse semblant de me connaître et de me demander des nouvelles de ma famille et sans parler d’établissement[…] Ayez bien soin de faire fermer le portail si tôt la voiture entré dans l’établissement, faîtes le mot au cocher je vous en prie ». (Dossier Eugène R. AD22 H dépôt 13, 1896).

   Ce que l’on pourrait interpréter comme des mensonges ou des tromperies évoque surtout la mise en place de stratégies d’adaptation et d’évitement pour protéger le malade contre lui-même et son hétéro-agressivité. Ces éléments des archives de Léhon permettent aux historiens de porter leur attention sur le vécu des familles lors de l’internement d’un proche et sur les difficultés rencontrées lors de sa prise de décision.

Prolonger la lecture sur le dictionnaire : Asile - Uniforme asilaire - Tutelle - Contention

 

Gaetan Simon - Le Mans Université

Références : 

Akihito Suzuki, « Madness at home: the psychiatrist, the patient, and the family in England, 1820-1860 » in Medicine and society, Berkeley, University of California Press , 2006, 259 p.

Anatole Le Bras, « Négocier l'internement : les aliénés du Finistère entre familles, autorités et médecins (asile Saint-Athanase, 1850-1900) », in XIXe siècle en mémoires, 2014, 242 p. 

 

Pour citer cet article : Gaetan Simon « Internement délicat », dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2024. 

Partagez :