Monnaies de nécessité de l’hôpital psychiatrique autonome de Cadillac-sur-Garonne, © clystere.com
Un rapport de la Cour des comptes pointait en 2016 les insuffisances du suivi mené par les tuteurs auprès des personnes protégées (entretiens en nombre insuffisant, négligences dans le remboursement des dépenses de santé). Le système, jugé à bout de souffle, souffre d’un défaut de transparence des acteurs, mais également d’un manque de moyens attribués aux juges des tutelles.
Les débats sur la protection des malades sont anciens. Dans le domaine de la maladie mentale, ils remontent pour l’essentiel aux années 1970-1980 quand la création de structures extrahospitalières imposa aux acteurs publics de réfléchir au devenir de malades dont le statut ne correspondait pas nécessairement au cadre défini par la loi de 1838. Le malade était alors celui que l’on enfermait car les troubles se soignaient d’abord dans le cadre très circonscrit de l’hôpital psychiatrique.
De la loi du 30 juin 1838, on a généralement retenu deux choses : le rôle primordial que les autorités confèrent aux départements dans la prise en charge de la maladie mentale, mais également le statut de « malade » qui est désormais attribué aux individus internés dans ce lieu nouveau qu’est l’asile. Le « fou » n’est plus simplement celui que l’on enferme, il est aussi celui que l’on soigne. À ce titre, il dispose de droits dont le respect doit permettre d’assurer un semblant de continuité entre la vie qu’il menait avant l’internement et celle qui sera éventuellement la sienne après son séjour à l’asile.
Dans cette perspective, la prise en charge des biens du malade pouvait prendre plusieurs formes. Dans un établissement public, l’administrateur provisoire légal, désigné le plus souvent par la commission de surveillance d’un établissement, a par exemple pour mission de percevoir les sommes dues à un aliéné, de procéder à l’acquittement de ses dettes ou encore de faire vendre son mobilier. Un curateur peut également être désigné pour faire en sorte que les revenus du malade soient employés à adoucir son sort. Si l’administration joue un rôle décisif dans ces dispositifs, les familles peuvent également être amenées à superviser la gestion du patrimoine d’un malade interné. Leurs membres ont ainsi le droit de réclamer la nomination d’un administrateur provisoire, même lorsque l’aliéné est placé dans un établissement public. Les malades, enfin, s’intéressent eux aussi de près à leur situation strictement matérielle. C’est ce que révèle notamment l’étude des dossiers des patients parisiens internés à Plouguernével (Bretagne) entre les années 1930 et les années 1950. Administré par une entreprise privée de type capitaliste, dont les moyens étaient très largement supérieurs à ceux des pouvoirs publics, l’établissement de Plouguernével accueillit pendant de nombreuses années des malades en provenance des structures du département de la Seine que les autorités souhaitaient « désengorger ». Nombre de ces patients, après avoir quitté l’asile ou l’hôpital, se rendaient alors à la préfecture du département de la Seine, rue Lobau à Paris, pour s’enquérir des biens laissés derrière eux au moment de leur internement.
L’administration des biens des aliénés est une problématique cruciale tant elle conditionne, après son passage en psychiatrie, la réintégration de l’individu au sein de la société. Un patient sans ressources, de même qu’un patient sans famille, inquiète les médecins car selon eux le risque de rechute est grand. Dans les dossiers médicaux des patients de Plouguernével, les médecins expriment ainsi leur crainte de voir certains malades, qui ne disposent d’aucune source de revenus, reprendre rapidement le chemin de l’asile. On compte alors beaucoup sur les familles pour répondre aux besoins matériels de leurs proches.
L’administration des biens est aussi, depuis la seconde moitié du XIXe siècle, une question éminemment politique car elle interroge le modèle de prise en charge de la folie défini par la loi de 1838. L’encombrement des établissements psychiatriques français, dont les conséquences sont observées dès les années 1840, contraint en effet les autorités à privilégier l’aspect économique et financier en matière de gestion de la folie. Pour limiter les coûts, des transferts de malades s’organisent ainsi à partir de la région parisienne vers des établissements départementaux. Dans ce contexte, l’administrateur des biens voit son rôle et ses missions évoluer. Les pouvoirs publics lui confient désormais la tâche d’enquêter, en lien avec les municipalités, sur les ressources financières dont pourraient disposer les proches d’un malade, dans l’objectif de déterminer ce que l’on appelle alors la « part contributive » des familles. L’expression, dont l’usage remonte semble-t-il aux années 1850, faisait à l’origine référence à la part des communes dans l’entretien des malades. Le sens qu’on lui donne évolue à partir des années 1860-1870, quand on commence à parler de recouvrements effectués par le service des aliénés sur les familles. La « part contributive » des proches augmente d’ailleurs sensiblement pendant la période.
Des difficultés très concrètes se posent avec la tutelle mais ce qui interrogent plus fondamentalement les dispositifs mis en œuvre depuis bientôt deux siècles, ce sont bien la place et le statut dans la société de celles et ceux qui souffrent de troubles mentaux. Plus précisément, le caractère imparfait ou détourné des systèmes de protection dont les patients pourraient bénéficier serait ainsi l’expression d’une problématique à laquelle se confrontent les pouvoirs publics depuis la première moitié du XIXe siècle. Cette problématique, c’est celle du devenir des malades dont les hôpitaux doivent nécessairement se délester au risque de se voir encombrés. C’est dans cette perspective que le soin accordé à la gestion des biens des individus internés a fait l’objet d’attentions particulières.
Prolonger la lecture sur le dictionnaire :Encombrement - Perchot Justin
Références :
Benoît Eyraud, « Quelle autonomie pour les « incapables » majeurs ? Déshospitalisation psychiatrique et mise sous tutelle », Politix, n°73, 2006, p. 109-135.
Benoît Eyraud, « D’une réforme à l’autre : le droit tutélaire à l’épreuve de son application », Vie sociale, n°3, 2010, p. 71-91.
Pour citer cet article : Joris Guillemot, "Tutelle", dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2022.