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Dictionnaire Politique d'Histoire de la Santé

Uniforme asilaire

Dans l’institution psychiatrique, les habits sont des outils d’uniformisation des malades et des personnels hospitaliers, au service de la thérapeutique, de l’hygiène et de l’ordre. Henri Dagonet, « Photographies de trois malades de la Clinique de la Faculté à l’Asile Sainte-Anne », dans Henri Dagonet, Album de 49 planches rassemblant 76 photographies d'aliénés, Paris, 1888-1889, p.84, [en ligne].

   Dans l’institution psychiatrique, les habits sont des outils d’uniformisation des malades et des personnels hospitaliers, au service de la thérapeutique, de l’hygiène et de l’ordre.

 

   À la fois objet historique et sociologique, le vêtement est selon les mots de Roland Barthes « le signifiant individuel d’un signifié plus général ». Il renvoie tant à l’identité visuelle de la personne qui le porte qu’à des normes collectives qui lui sont extérieures. L’ambiguïté de cet objet est particulièrement frappante dans le cas des habits portés par les patients des institutions psychiatriques. Jusqu’au milieu du XXe siècle, l’uniforme du malade est un objet imposé qui se définit par son double caractère impersonnel et thérapeutique. Dans l’institution, les habits sont autant des outils d’uniformisation des malades et des personnels hospitaliers, permettant de faire advenir un ordre hiérarchisé, que des instruments au service de la thérapeutique et de l’hygiène des établissements. Il n’est donc guère surprenant que le vêtement dans l’asile ait suscité au cours des XIXe et XXe siècles la production d’une littérature médicale et administrative relativement riche. 

 

   La question de l’habillement de ceux que l’on nomme les insensés apparaît dans la littérature médicale dès la fin du XVIIIe siècle. Pour les médecins prérévolutionnaires, le vêtement des insensés a une fonction disciplinaire et hygiénique. Objet porté au quotidien par les pensionnaires, le vêtement doit en outre être conçu afin de résister à ses épisodes d’agitation. Il se compose d’un linge blanc en toile de treuillis, très difficile à déchirer, d’un pantalon large, des bas en fils d’étoupe. Bien qu’assez peu développées, les premières descriptions de cette période rendent comptent de la volonté de médicaliser les établissements hospitaliers qui, dans leur grande majorité, offrent des conditions matérielles et hygiéniques très sommaires.

 

   Dans la première partie du XIXe siècle, lorsque se diffusent les thèses du médecin Philippe Pinel, qui considèrent l’insensé comme un malade que l’on peut guérir, l’habit devient un élément essentiel du régime intérieur de l’institution et un agent du traitement moral. En effet, suivant le principe de l’isolement dit thérapeutique qui a pour objectif de séparer les malades de la société, le vêtement a pour fonction de déposséder ceux-ci de tous les éléments symboliques ou sentimentaux les renvoyant à leur identité passée, et qui pourraient, de ce fait, favoriser leur excitation. Les règlements des asiles précisent que lors de leur admission, chaque malade est dépouillé de ses effets personnels qui sont inventoriés le temps du séjour. Les malades reçoivent alors des uniformes aux couleurs généralement sobres, ce qui permet de les distinguer des personnels infirmiers et de limiter les évasions. Les uniformes des malades varient néanmoins en fonction des sexes et des pavillons. À ce titre, les malades admis dans des pensionnats ou dans des maisons de santé – et qui payent une pension supérieure à celle des autres malades – ne sont en règle générale pas soumis au port de l’uniforme et peuvent conserver leurs effets personnels, symboles de leur distinction sociale.  

 

   Instruments au service de la prise en charge, les vêtements sont également utilisés à l’asile comme des indicateurs de l’état des malades. Les rapports des médecins, de même que les différents traités sur la construction des asiles d’aliénés soulignent en ce sens l’importance du vêtement qui, d’un simple coup d’œil, permet au médecin qui fait son inspection matinale de connaître l’état de propreté de son service, de même que l’état psychique de ses aliénés. Le constat de tenues négligées, de trous dans le linge, ou le simple refus de s’habiller, peut constituer un signe quant à l’état de tranquillité du malade et, de fait, conditionner la durée de son séjour dans l’institution. Toile de fond sur laquelle apparaissent les signes de folie, le vêtement du malade constitue de surcroît une vitrine de la qualité générale d’un service, voire de l’état de l’hôpital. Au XIXe siècle, les rapports des médecins dénoncent tous les manquements à cette condition de l’hygiène. 

 

   Objet individuel, mais non individualisé, le vêtement des malades fait pourtant l’objet de débats au début du XXe siècle, alors que le caractère carcéral de l’institution psychiatrique est dénoncé. Aussi, sous l’impulsion des pouvoirs publics et des psychiatres réformateurs, la dimension personnelle de certains objets est affirmée. La circulaire du 21 août 1952, relative au règlement des hôpitaux psychiatriques, encourage une humanisation des conditions de vie et d’accueil de ces établissements qui, désormais, sont appelés à devenir des centres de traitement et de réadaptation. Avec ce texte, le ministre de la Santé demande que les vieux uniformes des infirmiers soient supprimés et, surtout, que les malades puissent conserver plusieurs de leurs habits civils, et cela afin de favoriser leur réadaptation sociale et de limiter les effets délétères d’un isolement prolongé. 

 

   L’étude du vêtement permet de mettre en évidence le fonctionnement interne de l’institution asilaire durant les deux derniers siècles. Les nombreux débats à son sujet, dont témoigne la littérature médicale, soulignent sa dimension polyfonctionnelle. Il est à la fois un outil uniformisant la population internée et un indicateur de l’état psychique des patients et de l’état de propreté des établissements. En ce sens, le vêtement dans l’hôpital psychiatrique traduit autant les normes de l’institution s’appliquant à tous les hospitalisés, que sa finalité sociale.    

 

Prolonger la lecture sur le dictionnaire : Contention - Asile - Valises du Willard State Hospital (New York) -Surmortalité asilaire - Humanisation

 



Gaspard Bouhallier - Lyon 2 - LARHRA

Références : 

Coline Fournout, « Qu’est-ce que l’humanisation en psychiatrie ? Retour sur une transformation du paradigme hospitalier en France dans les années 1950 », PSN, vol. 19, no. 1, 2021, pp. 31-47.

Benoît Majerus, « La baignoire, le lit et la porte. La vie sociale des objets de la psychiatrie », Genèses, vol. 82, no. 1, 2011, pp. 95-119.

 

Pour citer cet article : Gaspard Bouhallier, "Uniforme asilaire", dans H. Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2022.



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