Le patrimoine le plus connu de la famille Menier, riche et influente famille de chocolatiers aux XIXe et XXe siècles, est sans aucun doute l’usine de Noisiel et la cité ouvrière qui l’entoure. Beaucoup moins connue est la villa Tourne-Bride de Lamorlaye construite à la demande de Gaston Menier, fils du propriétaire de l'industrie familiale. Celui-ci fait appel aux talents de Stephen Sauvestre pour dessiner les plans. Ce dernier est l'un des architectes préférés de la famille qui aime son style anglo-normand. La villa présente aussi des caractéristiques du style néo-roman : elle est construite avec des briques, des pierres et du bois en 1912. Georges Menier, homme politique radical socialiste et fils du commanditaire, s'y installe avec sa femme en 1919. La demeure située dans l’Oise est enfoncée dans la forêt de Bois Larris et ne possède qu’une seule entrée.
C'est une des caractéristiques qui suscitent l'intérêt des nazis au début de la Seconde Guerre mondiale. En effet, la région de l'Oise est occupée pendant la guerre. Proche de Paris et des frontières, c'est un lieu très stratégique. La villa Tourne-Bride est d’abord réquisitionnée en 1940 pour loger des troupes mais, en 1942, les SS décident d’en faire un Lebensborn, le seul qui aura jamais existé en France.
L'administration du Lebensborn (« fontaine de vie » en allemand) est une institution qui voit le jour en 1935 à partir d’une initiative d’Heinrich Himmler. Il a alors la volonté d’assurer la suprématie de la race germanique sous le IIIe Reich en créant un système de nouvelles maternités pour les épouses des soldats SS qui souhaitent accoucher discrètement. Plus tard, le Lebensborn sert aussi de lieu de rencontre pour des SS et des femmes dites « aryennes ». Il est aussi important de préciser le rôle des crèches au sein du Lebensborn : pendant la Seconde Guerre mondiale, de nombreux enfants des pays occupés qui correspondent aux critères aryens sont enlevés à leur famille pour être élevés dans ces centres. L'institution est très réglementée et est gérée comme une association. Il existe tout un réseaux de ces maternités en Europe : la maison mère est située à Steinhöring en Bavière : les maternités les plus nombreuses se situent en Allemagne et en Norvège.
Le manoir de Bois Larris est utilisé en tant que maternité à partir de février 1944. Le projet est important car les nazis considèrent depuis 1942 qu’une part de la population de la France est « racialement valable » car il subsisterait des souches germaniques, dues à d'anciennes occupations, dans l'Est de la France. « Westwald » (la forêt de l'Ouest) est utilisée seulement 185 jours : elle a accueilli vingt-trois enfants et vingt-et-une mères. Après le débarquement, les Allemands prennent peur et décident de quitter les lieux en août 1944. Les enfants sont alors évacués vers Steinhöring. Ils y sont, pour la plupart, adoptés par des familles proches du parti. On cache alors leur véritable identité. Boris Thiolay, journaliste à L'Express, rappelle l’histoire de ces « oubliés de la maternité nazie » en se fondant sur les quelques archives restantes car les nazis ont brûlé la majorité d'entre elles lors du départ. Le document le mieux conservé est le rapport d'observation du médecin de famille d'Himmler lors de sa visite au manoir le 6 avril 1944. Il y décrit un certain mécontentement : meubles de mauvaise qualité, chambres peu décorées, manque de sécurité. En effet, en France, les premiers travaux historiques, dans les années 1960-70, ont souvent décrit le Lebensborn comme un « haras humain » ou un « bordel SS », alors que le but premier était d'assurer les meilleurs soins pédiatriques possibles aux nouveaux-nés.
Cela fait à peine vingt ans que la réalité du Lebensborn apparaît plus régulièrement dans les médias. Il faut dire qu’encore aujourd’hui l'histoire du lieu n'est pas du tout mise en avant. Le manoir appartient depuis 1980 à la Croix Rouge et accueille des enfants handicapés moteur. L’association refuse tout accès au public pour ne pas être associée à l'image du Lebensborn. L'établissement n'a donc pas de dimension patrimoniale et la vie à Bois Larris depuis 1944 donne lieu à de nombreux fantasmes. Les reportages sont très peu nombreux. En revanche, ceux plus récents de France Culture sont très complets (partie 1 / partie 2). Boris Thiolay contribue aussi à la médiatisation du lieu avec son roman Lebensborn, la fabrique des enfants parfaits (2012). Plus localement, Lucienne Jean fait connaître le passé de Bois Larris et essaie de rassembler les gens autour d'une histoire commune grâce à son association ALMA (Association Lamorlaye Mémoire et Accueil) depuis 2002.
Références :
Marc Hillel, Au nom de la race. Paris, Fayard, 1975.
Boris Thiolay, Lebensborn, la fabrique des enfants parfaits, Paris, Flammarion, 2012.
Pour citer cet article : Elisa Vaz, "Lebensborn" dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université 2020.