Le lit est certainement l’objet de la vie quotidienne auquel on pense le plus aisément lorsqu’on évoque l’Histoire de l’hôpital. Ce meuble amovible qui est de nos jours conçu pour assurer la convalescence et garantir le confort d’un malade ne s’est néanmoins imposé dans le paysage hospitalier français et européen qu’au cours du XIXe siècle, période durant laquelle il se substitua progressivement aux anciennes paillasses et aux lits collectifs qui caractérisaient alors les hospices. C’est également autour de ces lits que se formalisa la prise en charge des patients et que fut organisé l’espace hospitalier. La place et la fonction du lit au sein des hôpitaux ont de ce fait constitué un enjeu sanitaire pour les autorités publiques, ainsi qu’un sujet régulièrement abordé par les médecins dans la littérature médicale. Aussi, il n’est guère étonnant de constater que le terme même de lit a recouvert plusieurs significations.
Depuis la fin du XVIIIe siècle, les manuels de médecine définissent le lit comme un instrument de la médecine clinique. Cette nouvelle médecine qui impliquait la participation active du médecin dans l’observation des signes de la maladie se pratiquait au chevet même du malade. Le médecin interrogeait ce dernier, analysait son état, observait les signes et désignait les symptômes qui caractérisaient la maladie. C’est de surcroît autour des lits que se développèrent un ensemble de pratiques médicales et de rites rythmant le quotidien des établissements hospitaliers. C’est lors des visites médicales, au cours desquelles le médecin-chef de service, accompagné de ses élèves internes, constatait la bonne tenue du service, qu’étaient examinés les malades alités. Ce rituel quotidien permettait au médecin de dispenser son enseignement clinique en prenant pour exemples les cas les plus significatifs. En ce sens, le lit demeura durant le XIXe siècle un support d’observation et d’enseignement dont la diffusion permit le développement d’une médecine hospitalière. L’examen clinique s’effectuait néanmoins à la vue de tous, sans considération pour l’intimité. Malgré le fait que durant le XIXe siècle le lit devint très progressivement un meuble spécifiquement dévolu à un individu, il ne constituait pas encore un espace individualisé.
Instrument des soins et de l’enseignement clinique, certes, le lit apparaît également au travers des documents produits par l’institution hospitalière comme un objet que se sont progressivement appropriés les médecins et les soignants en vue d’objectiver leur discours médical. La lecture des divers règlements des hôpitaux des XIXe et XXe siècles atteste en effet la très grande diversité des modèles de lits proposés. Lits amovibles avec des roulettes ou fixés à même le sol, lits en fer disposant d’un sommier ou lits en zinc formés de quatre plans inclinés avec une ouverture, tous ces modèles se conformaient aux impératifs thérapeutiques et organisationnels des spécialités médicales. Les lits des établissements psychiatriques se distinguaient à ce titre de ceux des hôpitaux généraux par leurs bords arrondis et leur absence de barreaux. Des caractéristiques qui témoignent de la volonté des psychiatres de prévenir les blessures et les tentatives de suicide. Le lit dans les hôpitaux psychiatriques constituait ainsi autant un instrument de contrôle des comportements qu’un outil thérapeutique.
Du dernier tiers du XIXe siècle jusqu’aux années 1980, le lit fut surtout mentionné dans la presse au travers de la problématique de l’encombrement. Dénoncé tant par les médecins que par les autorités publiques, le manque de lits dans les hôpitaux était considéré comme un frein à la médicalisation. En psychiatrie, la congestion des hôpitaux était si importante que de nombreux médecins-chefs étaient contraints de réaliser une économie de l’espace et devaient même loger leurs malades grâce à des matelas directement posés sur le sol. Afin de pallier cette situation, les différents plans de modernisation et d’équipement mis en œuvre dans la seconde partie du XXe siècle prévirent la construction de dizaines de milliers de lits. Ces programmes définissaient ainsi le lit hospitalier comme une unité de mesure permettant tant de déterminer les capacités d’hospitalisation d’un hôpital que d’évaluer les besoins de la population. Cette politique fut remise en cause au sortir des années 1970, du fait des crises économiques et d’une réorientation générale de la politique hospitalière favorisant la construction de chambres individualisées et le développement de nouvelles modalités de prise en charge.
Ces différentes définitions montrent que le lit ne se réduisait pas à un simple objet dont l’agencement rythmait l’organisation spatiale des services. Il était non seulement un instrument thérapeutique autour duquel s’étaient formalisées diverses pratiques médicales mais également un indicateur permettant aux pouvoirs publics d’orienter la politique hospitalière.
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Références :
Barillé Claire, « Les vaines pudeurs à l'hôpital (XIXe siècle) », Histoire, médecine et santé, 2012/1 (n°1), p. 47-61.
Majerus Benoît, « La baignoire, le lit et la porte. La vie sociale des objets de la psychiatrie », Genèses, 2011/1 (n° 82), p. 95-119.
Pour citer cet article : Gaspard Bouhallier "Lit", dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2021.