Le mot “Lyme” est intéressant pour deux raisons. La première tient au fait que la « maladie » qui porte ce nom est l’objet d’une lutte assez inédite entre d’une part des « malades » qui construisent socialement une maladie qui correspond à leur ressenti, d’autre part des scientifiques qui en écrasante majorité contestent l’existence d’une telle pathologie chronique. Autour de ce nom se constitue donc une bataille politique autant que médicale. La deuxième raison tient au fait que le mot qui identifie la maladie n’est pas celui d’un médecin, mais celui d’un lieu comme le montre l’image annexée à l’article. Lyme est une petite ville située non loin de New-York où seraient apparus les premiers cas de cette infection en 1975. Comment est donné le nom des maladies, voilà un bel objet d’étude, sur lequel on passera rapidement en relevant juste que les maladies qui portent des noms de lieux semblent souvent synonymes de gravité - pensez à la rivière Ebola, la forêt de Zika ou la ville de Marburg.
Les statistiques disponibles montrent que la maladie a franchi un cap autour de 2016. Cette forte variation doit être rapprochée de la montée en puissance des associations de malades qui favorisent depuis quelques années la reconnaissance de la maladie. Nymphéas en 1998, Lyme éthique en 2007, France Lyme en 2008, Lyme sans frontières et Lymp’act en 2012 sont autant de groupes dont l’effort d’information est relayé par une fédération française contre les maladies vectorielles à tiques, créée en 2015, et qui associe médecins, chercheurs et patients. Cette fédération est présidée par deux médecins infectiologues, Christian Perronne, auteur de La vérité sur la maladie de Lyme, publiée en 2017, et Raouf Ghozzi, qui milite pour la collaboration entre médecins et patients dans la recherche. Le pic épidémique français qui date de 2016 est donc postérieur à cette organisation de la parole militante.
La politique de ces patients épaulés par quelques médecins prend modèle sur celle des associations mobilisées contre le sida. Sur le plan théorique, l’objectif est de faire reconnaître à travers la maladie de Lyme l’existence d’un « sida bactérien » qui refuserait d’être admis par les autorités. Comme à l’origine du SIDA, des récits de diverses natures viennent combler l’absence d’explication plausible sur l’émergence de l’épidémie. Evoquons brièvement le récit qui fonde la naissance de la maladie dans la ville de Lyme en raison de la présence à proximité du laboratoire fédéral de Plum Island, spécialisé dans les maladies animales, et destiné à fabriquer des armes biologiques durant la guerre froide (la source qui fonde ce récit est le livre de Mickael Caroll, Lab 257 et ici évoqué). La comparaison vaut également sur le plan des pratiques activistes. Il existe depuis 2013 une world wide life protest qui s’en prend au déni des autorités médicales. En avril 2019, les militants de l’association Le droit de guérir ont ainsi déversé des litres de faux sang sur les murs de l’établissement français du sang. Au sein du documentaire militant Lyme, la grande imitatrice, le professeur Montagnier, découvreur du virus du sida, est interviewé longuement. La grande imitatrice dont il est question dans le titre est une autre maladie, la syphilis, qui, dans ces phases successives, donnait des symptômes tout aussi variés que ceux que les associations de patients de Lyme mettent en avant : rhumatologiques, neurologiques et psychiatriques.
De leur côté les médecins ont beau jeu d’affirmer qu’il n’existe pas de réelle maladie tant les symptômes décrits par les patients sont en effet divers. https://www.youtube.com/watch?v=PmmjqCz8e2E. La maladie passerait par plusieurs phases. La première voit l'apparition d'une rougeur autour de la piqûre, qui peut atteindre 15 cm de rayon. Vient ensuite une phase de dissémination des bactéries, qui mène à une dernière phase de douleurs. Le passage entre les phases deux et trois est difficile à préciser, car des symptômes peuvent rester latents des années, tandis que d'autres se déclarent rapidement. Une étude, dite « holistique », montrait que 10% seulement des patients atteints d’une maladie de Lyme présumée pouvaient en réalité être ainsi diagnostiqués. Tout un chacun de fait pourrait se reconnaître dans cette longue liste de symptômes. Le dialogue est donc impossible puisque sont renvoyées dos à dos d’un côté la croyance, de l’autre côté la science. Entre les deux, l’Etat qui impulse l’adoption en 2018 d’un protocole de prise en charge refusé par les sociétés médicales qui ont, de leur côté, suscité de nouvelles recommandations publiées par la société de pathologies infectieuses en juin 2019.
Par-delà cette controverse, l’histoire de la maladie de Lyme révèle à quel point la définition et la nomination des maladies sont un enjeu politique, redoublé par l’émergence d’un activisme associatif porté dans les médias.
Références :
R. Lenglet et C. Perret, L’affaire de la maladie de Lyme. Une enquête, Babel 2016.
J.Y. Nau, « La maladie de Lyme, cas d'école de la rupture entre médecins et malades », Slate.fr, Juin 2019.
Pour citer cet article : Hervé GUILLEMAIN, "Lyme", dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2020.