Maison de santé de Charenton. Gravure d'après un dessin de Lara, XIXe siècle.
Fondé en 1641 par Sébastien Leblanc, l’hospice dispose alors de sept lits pour des malades indigents. En 1644, il en fait donation aux Frères de la Charité de l’ordre de Saint-Jean de Dieu, qui agrandissent l’établissement et accueillent progressivement des aliénés à partir des années 1660. L’hospice se développe tout au long du XVIIIe siècle sur le modèle d’un pensionnat, les aliénés sont internés aux côtés d’autres malades sur demande de leur famille ou par lettres de cachet (ou les deux).
Pendant la Révolution française, le statut de l’institution évolue considérablement. Si, dans un premier temps, l’abolition des congrégations religieuses (18 août 1792) et l’annonce de la nationalisation des biens hospitaliers par la Convention nationale (11 juillet 1794) provoquent la fermeture de l’hospice le 30 juillet 1795, celui-ci est rouvert sous le Directoire en 1797. Il devient alors une institution nationale spécialisée dans le traitement de la folie. Cette décision est justifiée, dans le rapport produit par le ministre de l’Intérieur, par la « nécessité de créer un établissement où sous les rapports de l’art, la folie soit traitée avec méthode et manière à parvenir à une guérison plus assurée ».
Dans un contexte de rivalité avec l’Angleterre, considérée comme un modèle à suivre à l’échelle européenne, le rapport de Jean Colombier et de François Doublet en 1785, Instruction sur la manière de gouverner les Insensés, et de travailler à leur guérison dans les Asyles qui leur sont destinés, proposait déjà la mise en place d’établissements spécialisés et spécifiquement destinés à traiter l’aliénation mentale. Dès 1791, le Comité de mendicité s’étant penché sur la question d’une prise en charge spécifique des aliénés, Charenton avait déjà été envisagé par l’Académie de médecine comme lieu de soin potentiel, même si les traitements dispensés alors étaient jugés insatisfaisants. Le Directoire fait ainsi advenir un projet porté de longue date d’une prise en charge institutionnelle du traitement de la folie par l’État. En 1797, la maison de Charenton est ainsi placée sous la tutelle du ministère de l’Intérieur et financée en partie sur les fonds du Trésor public. Ce choix d’institution nationale se fait alors à contre-courant de la politique de communalisation de l’assistance publique portée par le Directoire, et contribue à faire de Charenton une exception dans le champ hospitalier.
Au cours de cette période marquée par le développement de nombreuses réflexions quant au traitement de la folie, la maison de Charenton, dirigée par François Simonet de Coulmiers (1741-1818), devient alors le lieu d’expérimentation de nouvelles pratiques – du moins considérées comme telles – notamment le « traitement moral » qui est formalisé, entre autres, par Philippe Pinel (1745-1826) en France. Une attention particulière est ainsi portée à l’aménagement des espaces extérieurs (promenoirs et jardins) mais également à d’autres formes de divertissements tels que le théâtre ou la musique. Pour autant, l’analyse approfondie des sources financières, particulièrement de la comptabilité, permet de montrer le maintien de pratiques héritées d’une conception galénique de la maladie, visant notamment à rétablir l’équilibre des humeurs. La moitié des médicaments utilisés à Charenton sont ainsi des substances purgatives.
Cet établissement spécialisé et reconnu comme tel permet alors, dès le début du XIXe siècle, de faire émerger la figure du médecin, et particulièrement de l’aliéniste. Jean-Étienne Esquirol (1772-1840) succède à Antoine Athanase Royer-Collard (1768-1825) en décembre 1825 et s’impose rapidement comme une l’une des personnalités incontournables du milieu médical et politique. Si des projets d’implantations d’asiles sur l’ensemble du territoire sont discutés dès le début de la Restauration, la maison de Charenton est progressivement érigée par Esquirol comme un modèle pour défendre la loi du 30 juin 1838. La disposition des bâtiments est entièrement repensée par l’architecte Émile Jacques Gilbert en 1833 selon un plan orthogonal, les travaux ne commençant qu’en 1838.
L’institution s’élargit au XXe siècle et accueille de nouvelles catégories de patients. Après la Première Guerre mondiale, en 1920, une maternité est établie, tout en préservant les activités de l’hôpital psychiatrique. Celui-ci est renommé « hôpital Esquirol » en 1973, puis est rattaché à l’Hôpital National de Saint-Maurice en 2011 (anciennement l’Asile Impérial fondé en 1857 pour accueillir les nombreux ouvriers mobilisés par les travaux d’urbanisme entrepris par Napoléon III et Haussmann à partir de 1853) pour former les hôpitaux de Saint-Maurice sous le statut d’établissement public de santé.
Prolonger la lecture sur le dictionnaire : Hospice - Asile - Cahiers pour la folie (DicoPolHiS Archives)
Références :
Jeanne Mesmin D’estienne, « La maison de Charenton du XVIIe au XXe siècle : construction du discours sur l’asile », in Revue d’histoire de la protection sociale, n° 1, 2008, pp. 19-35.
Pauline Teyssier, « Financer le traitement de la folie entre Révolution et Empire : une approche de la maison de Charenton par les comptes (1797-1814) », in Annales historiques de la Révolution française, n° 407, 2022, pp. 179-204 (article issu d’une thèse en cours de préparation à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne).
Pour citer cet article : Pauline Teyssier, « Maison de Charenton », dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2024.