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Dictionnaire Politique d'Histoire de la Santé

Méthode Ogino

« Famille nombreuse : caricature sur la méthode de contraception par le gynécologue Kyusaku Ogino », France, 1955.

La méthode Ogino, bien plus qu'une simple approche contraceptive, incarne à partir de 1924 un enjeu politique crucial  en matière de santé reproductive et de liberté individuelle, suscitant des débats profonds sur le contrôle des corps et  des choix personnels. 

 

   Aussi connue sous le nom de méthode du calendrier, cette pratique est une méthode de planification qui repose sur  le suivi du cycle menstruel féminin pour déterminer les périodes de fertilité et d'infertilité. Cette méthode a été  développée par les travaux du docteur Kyusaku Ogino (1882-1975), un médecin japonais diplômé de la faculté de  médecine de l'Université impériale en 1909. En 1924, c'est dans le service de gynécologie de l'obstétrique de l'hôpital  Takeyama que Kyasaku Ogino détermine scientifiquement la période stérile et la période d’ovulation de la femme. Il  devient alors possible, pour les couples qui veulent un enfant, de savoir à quel moment les rapports sexuels ont le plus  de chances d’être fécondants. Ces découvertes sont confirmées en 1928 par le gynécologue autrichien Hermann  Knaus, qui les détourne de leur but initial, en faisant de la méthode Ogino un moyen d’éviter la conception. 

 

   La méthode Ogino se base sur le fait que la période de fertilité d'une femme est généralement limitée à quelques jours  autour de l'ovulation. L'ovulation, qui correspond à la libération d'un ovule par l'ovaire, se produit généralement au  milieu du cycle menstruel. La méthode Ogino cherche alors à déterminer les jours où une femme est la plus susceptible  de concevoir et ainsi à éviter les rapports sexuels pendant cette période. Cette méthode connaît d’abord un grand  succès au début de sa diffusion dans les années 1930, notamment grâce aux nombreuses publicités dans les journaux  faisant la promotion de brochures ou de calendrier. Aussi, cette méthode est largement diffusée par le fait qu’elle soit  pratique et peu couteuse. 

 

   En revanche, cette pratique ne fait pas l’unanimité au sein de l’Église. Face à la controverse du crime d’Onan, c’est-à-dire la pratique du retrait, remis en cause par Monseigneur Bouvier lors de la première moitié du XIXe siècle, la  méthode Ogino semble légitime. En effet, puisque les méthodes de contraception sont peu nombreuses au XIXe siècle,  la pratique du coït interrompu est de plus en plus utilisée afin d'éviter la conception. Le problème, c'est que la morale  catholique prône la famille nombreuse. Monseigneur Bouvier s'interroge alors sur le bien-fondé de légitimer le crime  d'Onan, conscient que les couples catholiques sont désireux de fixer par eux-mêmes la taille de leur famille. Cette  solution, jugée trop radicale, a été rejetée par l'Église. Face à cela, la méthode Ogino semble donc légitime puisqu'il  s'agit d'une méthode ou le couple n'intervient pas matériellement pour s'opposer à la fécondité. Mais face au  phénomène de dénatalité de l’après-guerre, l’Église cherche également à rendre la méthode Ogino immorale. 

 

   Dans les années 1930, les défenseurs catholiques s’accordent pour dire que la finalité du mariage est la procréation  afin d’avoir une famille nombreuse. Ainsi, les grands défenseurs dénoncent que les couples usent du mariage tout en  esquivant les conséquences de la procréation. Et pourtant, le contexte est paradoxal : dans les textes religieux, aucune  mention stipule que la méthode Ogino est immorale. Ainsi, les moralistes défendant les traditions estiment que la  méthode Ogino est une déformation de ce qui est moralement admissible par Dieu, autrement dit échapper à la  conception après un rapport. D'un autre côté, d’autres moralistes prônent cette nouvelle innovation, notamment en  réemployant des textes religieux tels que l’enseignement de Saint-Alphonse de Liguori : « le pouvoir de se reproduire  est un droit naturel, ce n’est pas un devoir ». S'ouvre alors un grand débat, en tentant un continuel et difficile ajustement  entre traditions et innovations. Il faut finalement attendre deux discours de Pie XII, à l'automne 1951, pour que la  régulation des naissances par la continence périodique cesse d'être suspecte aux yeux de la morale catholique. Dans  les faits, Pie XII légitime conjointement la régulation des naissances et le devoir de fécondité, permettant à la doctrine  catholique de trouver un nouvel équilibre entre fécondité et chasteté. Mais dans cette règle, les fidèles ont surtout  retenu le fait que la régulation des naissances est compatible avec la loi de Dieu. 

 

   Mais la méthode perd assez vite sa postérité avec la découverte de ses limites. Tout d'abord, elle repose sur des calculs  approximatifs et ne tient pas compte des variations individuelles du cycle menstruel. De plus, elle ne fournit pas de  protection contre les maladies sexuellement transmissibles. En outre, la méthode Ogino peut être moins fiable pour  les femmes dont les cycles menstruels sont irréguliers ou de durée variable. Aussi, il faut souligner que bon nombre  de médecins sont dubitatifs et mettent en garde leurs lecteurs dès les années 1930. Bien que la méthode Ogino soit  l'une des principales formes naturelles de contrôle des naissances, cette dernière a rapidement été considérée comme  peu fiable. De fait, il faut mentionner l’invention de la pilule contraceptive en 1956. Dès les années 1920, Margaret  Sanger, infirmière de formation, féministe, fut à l'origine d'un vaste mouvement d'information sur les moyens de  contraception. Elle mentionne alors la méthode des températures, découverte par Ogino. Mais cette méthode ne  parvient pas à satisfaire les souhaits des féministes dans l'accomplissement de leur sexualité. En 1950, le docteur  Grégory Pincus rencontre Margaret Sanger et lui propose de rechercher une hormone de synthèse contraceptive. 

 

   La première pilule contraceptive est alors mise au point en 1956, mais sa commercialisation est autorisée aux États-Unis  seulement à partir de 1957 après quelques ajustements. Cette nouvelle contraception orale se présente sous la forme de  comprimés à prise quotidienne de manière à éviter le développement d'une grossesse non désirée. Grâce à sa simplicité  d'utilisation, cette contraception connaît un important succès. D'ailleurs, cette pilule est d'abord massivement importée  illégalement en Europe. En France, il faut attendre la loi défendue par Lucien Neuwirth en 1967 pour que cette pilule  soit légale. L'adoption de cette pilule est alors immédiate, s'expliquant notamment par la transformation profonde du  rapport de la femme à la sexualité. Ainsi, cette pilule participe au déclin de la méthode Ogino puisqu’elle offre une  approche plus fiable de la contraception. D’ailleurs, le manque de fiabilité de la méthode Ogino est visible avec la  naissance de plusieurs « bébés Ogino ». Ce terme vient du fait qu'en France, les bébés nés de parents utilisant la  méthode Ogino étaient ironiquement surnommés les « bébés Ogino ». 

 

Prolonger la lecture sur le dictionnaire : Andrologie- Épisode 8 - Stérilisations masculines

Quentin Boisnay - Le Mans Université

Références

Martine Sevegrand, « La méthode Ogino et la morale catholique : une controverse théologique autour de  la limitation des naissances (1930-1951) », Revue d’histoire de l’Église de France, n°200, Paris, 1992, p.77 à 99.  Disponible sur : https://www.persee.fr/doc/rhef_0300-9505_1992_num_78_200_1060 

Pauline Mortas ; Aux origines de la contraception « naturelle » : la méthode Ogino ; RetroNews le 07/06/2021.  Disponible sur : https://www-retronews-fr.doc-elec.univ-lemans.fr/societe/long format/2021/06/07/contraception-naturelle-methode-ogino

 

Pour citer cet article : Quentin Boisnay, "Méthode Ogino" dans H. Guillemain (dir.), DicoPolHis, Le Mans Université, 2024.

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