La neurodiversité, néologisme qui fait référence à la diversité du fonctionnement neurocognitif des individus, a été conçue en 1998 par l’Australienne Judy Singer, qui prônait la nécessité pour la société de mieux accepter les différents styles de pensée. Elle expliquait, sur le groupe de soutien en ligne InLv (Independant Living on the autistic spectrum de Martijn Dekker) que, comme la biodiversité est importante, la neurodiversité fait progresser l’humanité. Adopté par les associations de personnes autistes dans un objectif de déstigmatisation, ce concept s’est très rapidement propagé grâce à internet et à des articles de presse. Il est employé, à présent, pour qualifier toute personne présentant un mode de fonctionnement cognitif différent, et, en particulier, les personnes qui ont reçu un diagnostic psychiatrique. Ainsi, de plus en plus de pathologies (autisme, syndrome bipolaire...) sont redéfinies comme une autre façon d’être au monde. Cette approche vise à démédicaliser les pathologies dites mentales en célébrant la diversité des modes de pensée et en luttant contre la discrimination. En 2009, s’est créée à Londres une association, Danda (Developmental Adult Neuro-Diversity Association), qui cherchait à regrouper des adultes présentant diverses problématiques (dyspraxie, dyslexie, dyscalculie, syndrome d’Asperger, hyperactivité, etc.) afin de les aider à s’impliquer dans des activités d’interactions, de support mutuel et d’éducation.
L’élargissement des critères diagnostiques de l’autisme, instauré à la fin des années 1980 et au début des années 1990, a donné l’opportunité à des personnes qui se sentaient différentes, mais qui avaient du mal à nommer leur particularité, de se retrouver dans ce tableau d’autisme centré sur les difficultés d’interactions et de communications sociales. L’accent mis sur les performances de certaines personnes autistes qui ont réussi une carrière professionnelle et la multiplication des personnages autistes aux compétences surprenantes dans les romans, les films ou les séries, ont participé à dédramatiser l’autisme. Les récits d’expérience de personnes présentant des caractéristiques autistiques se sont peu à peu transformés en une prise de conscience politique qui a conduit à l’élaboration d’une culture propre avec un vocabulaire et des expressions nouvelles, comme « neurotypique », pour désigner les personnes non-autistes, et « aspies » pour celles qui présentent un syndrome d’Asperger. L’usage du « nous » a participé à la construction d’un mouvement social, d’une communauté et d’une identité « autiste » qui, de stigmatisante, est devenue valorisante.
La rapide diffusion du concept de neurodiversité est à interpréter dans le contexte de la large propagation des discours neuroscientifiques et de leur pénétration dans différents domaines de la vie dans nos sociétés contemporaines bio-médicalisées. L’essor et la médiatisation des neurosciences dans les années 1990, avec la circulation des images du cerveau en fonctionnement et des théories sur les réseaux neuronaux, ont inspiré ceux qui préféraient redéfinir l’autisme comme une autre façon de penser plutôt que comme une maladie psychiatrique. Les références au cerveau semblent apporter de nouvelles ressources expressives aux détresses psychologiques de personnes et leur permettent de transformer un handicap en un avantage. Des neuroscientifiques et des chercheurs en sciences cognitives se sont emparés de ce concept pour explorer ces façons différentes de penser en se concentrant sur des personnes qui parlent et qui présentent des capacités cognitives importantes. Cependant, les parents d’enfants présentant des signes sévères d’autisme considèrent qu’il n’y a rien de plus surréaliste que la rhétorique sur la neurodiversité.
Références :
B. Chamak et B. Bonniau, “Neurodiversité : une autre façon de penser”, dans Chamak B. & Moutaud B. (dir.), Neurosciences et Société : enjeux des savoirs et pratiques sur le cerveau, Armand Colin, 2014, p. 211-230.
J. Singer, Neurodiversity : the birth of an idea, Lexington - Kentucky, 2017.
Pour citer cet article : Brigitte Chamak, "Neurodiversité", dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2020.