Depuis les années 1990, l’obésité est considérée comme un mal épidémique qui toucherait 17% des Français (en 2019). Cette prévalence ainsi que sa médiatisation croissante placent cette maladie au cœur de l’actualité. Comment la définir ? L’historienne J. Csergo propose de la considérer comme « un excès de masse grasse exposant à des conséquences somatiques, psychologiques et sociales et retentissant sur la qualité de vie». L’enjeu médical, puis sociétal devient d’établir la norme afin de déterminer à partir de quand il faut parler d’«excès de masse grasse». La mobilité de cette norme nous pousse à considérer l’obésité comme un produit de l’histoire. Si aujourd’hui cette norme quantitative est fixée par l’indice de masse corporelle (IMC) retenu par l’OMC, il faut remonter à son invention par l’érudit flamand Auguste Quetelet au XIXe siècle.
L’obésité entre officiellement dans le champ médical au début du XVIIIe siècle avec l’apparition du mot «obésité» dans le dictionnaire de Furetière (1701). Ce terme fait de la grosseur corporelle une maladie. Les médecins abandonnent progressivement les interprétations traditionnelles (humeurs, nerfs) au profit d’une compréhension mécanique du corps. Selon un principe de combustion et à la manière dont le feu brûle le bois, le corps brûle des comburants : l’oxygène et les aliments. S’ils ne sont pas brûlés, ils sont stockés sous forme de graisse. Les médecins en déduisent deux types d’obésité : l’une traditionnelle attribuée aux excès alimentaires et à la sédentarité, l’autre qui est le résultat d’un organisme déficient, qui ne brûle pas suffisamment de calories (l’usage est anachronique, le terme est associé à la nutrition seulement à la fin du XIXe siècle). A partir du XIXe siècle, certaines conséquences somatiques de l’obésité sont mises en lumière ; à la fatigue et à l’essoufflement s’ajoutent l’intoxication, l’apoplexie, le diabète et récemment le cancer.
L’exigence esthétique est croissante au XIXe siècle. Or cela n’est pas sans conséquences sur l’évaluation du corps. L’usage banalisé du chiffre via la prise des mensurations puis le calcul du poids, la diffusion du miroir en pieds vendu dans les grands magasins, puis la progression des loisirs et des vacances en bord de mer en attestent. D’ailleurs, la distinction sociale est davantage relative à l’esthétique. La représentation du bourgeois ventru s’impose au début du XIXe siècle, mais cette obésité serait contrôlée et signe d’autorité. Un embonpoint identique dans les classes inférieures est condamné. L’obésité est plus mondaine qu’ouvrière mais au XXe siècle ce schéma traditionnel est bouleversé, plus aucune classe sociale n’étant épargnée avec l’essor de la consommation de masse. Le jugement sévère à l’égard des plus pauvres se renforce encore avec l’émergence d’une société qui valorise le rendement donc le muscle.
Par ailleurs, la condamnation de l’obésité est genrée, les femmes obèses plus que les hommes sont désavouées. Historiquement la minceur incarne la faiblesse, la fragilité des traits féminins. Ce raisonnement évolue avec le nouveau statut des femmes au XXe siècle, celui des femmes dynamiques. Dès lors, la chair molle laisse place à la musculature. Malgré tout, cette mutation ne retire rien à la virulence de la stigmatisation.
Au XXe siècle, la stigmatisation de l’obésité prend une nouvelle forme, l’auto-témoignage se transforme. Ces récits abordent à la fois une souffrance physique et psychologique. Cela prend corps dans Le martyre de l’obèse d’Henri Béraud, prix Goncourt en 1922. Cette expression ainsi libérée est le résultat d’une attention particulière à « soi », à l’exigence croissante de la confiance en soi dans une société de plus en plus individualiste. Cette douleur psychologique survient avec les moqueries enfantines, puis croît avec l’incapacité à séduire un prétendant, à se reconnaître dans son corps. Ces malades font également les frais de traitements infructueux qui compromettent le peu d’estime de soi. La stigmatisation se déplace dans les années 1920 ; l’obèse n’est plus le gourmand ni l’oisif mais celui qui refuse la thérapie. Pour reprendre les mots d’Henri Béraud, l’obèse devient martyr.
Dans les décennies qui suivent, l’obésité s’inscrit comme un problème de santé publique. La politisation de la maladie n’est pas brutale mais plutôt le fruit d’un long processus au cours duquel la santé physique, sociale et mentale de l’obèse est successivement remise en cause. Cela se traduit par plusieurs conséquences positives. D’une part, la médiatisation croissante de l’obésité à la fin du XXe siècle via la publicité, la presse ou le cinéma, comme avec le documentaire à succès Super Size me (2004). D’autre part, son inscription dans la loi. En France, une loi préventive votée en 2007 instaure des messages publicitaires pour sensibiliser le grand public à une alimentation saine ; « évitez de grignoter entre le repas », « mangez au moins cinq fruits et légumes par jour ».
Références :
Georges VIGARELLO, Les métamorphoses du gras. Histoire de l’obésité, Seuil, 2010.
Julia CSERGO, Trop gros ? L’obésité et ses représentations, Autrement, 2009.
Pour citer cet article : Pauline Bourdais, "Obésité", dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2020.