Participants du cours de pédiatrie sociale réunis autour de Robert Debré, 1950 – Bibl. univ. Angers, 1 CIDEF 307.
Une simple interrogation des moteurs de recherche sur Internet à partir des mots « pédiatrie sociale » et « social paedriatics » laisse entendre que le concept a été développé dans l’espace francophone par le docteur québécois Gilles Julien dans les années 1990 et 2000 en promouvant une pédiatrie sociale communautaire. Celui-ci indique avoir été inspiré par la lecture de l’ouvrage Social Paediatrics, édité par Bengt Lindstrom & Nick Spencer en 1995. Les différents sites d’associations de praticiens exposent que le concept et la pratique se seraient diffusés ainsi du monde anglo-saxon vers le monde francophone et très récemment. Mais il est intéressant de remarquer que les deux éditeurs de la somme Social Paedriatics ont confié à Michel Manciaux (1928-2014) le soin de définir la pédiatrie sociale. En effet, le médecin français était l’un des mieux placés pour évoquer l’origine et la généalogie de ce concept.
La pédiatrie sociale apparaît dans la littérature médicale française et anglo-saxonne juste après la Seconde Guerre mondiale en lien avec le cours du même nom dispensé par Robert Debré (1882-1978) à Paris à partir de 1946. L’expression lui a été soufflée par une collègue polonaise au moment où Debré cherchait un concept tourné vers l’action à mettre au cœur du Centre International de l’Enfance, qu’il crée en 1949 en lien avec l’UNICEF et l’OMS. Humaniste, mais aussi populationniste, Debré estime que la santé doit avoir toute sa place dans le mouvement de politisation de l’enfance initié par les Lumières au XVIIIe siècle. Il définit la pédiatrie sociale comme « l’ensemble des efforts collectifs en faveur de la partie jeune de la population ». Selon lui, et d’après l’une de ses présentations pédagogiques, la pédiatrie de famille relève de l’effort individuel tandis que la pédiatrie sociale relève de l’effort collectif ou public.
Pédiatrie de famille |
Pédiatrie sociale | |
Pédiatrie clinique |
Soin de l’enfant malade avec la connaissance des maladies, des traumatismes physiques et psychiques et application de toutes les méthodes thérapeutiques |
Établissement des consultations publiques pour enfants malades. Formation de tous les personnels pour les soins et traitements |
Pédiatrie préventive |
Prévention contre les maladies et traumatismes physiques et psychiques dans le milieu familial. Mesures pour assurer la bonne constitution et le bon développement de chaque enfant |
Mesures publiques de préservation des maladies (isolement des contagieux, vaccinations publiques, protection maternelle et infantile publique) Médecine scolaire et universitaire. Formation de tous les personnels appliquée à la protection de l’enfance |
En France, les lendemains de la Deuxième Guerre mondiale ont amené la reconnaissance de droits économiques et sociaux pour la santé, l’enfance et la famille. Debré veut la pédiatrie sociale, véritable projet collectif et politique. Au moment où s’élabore la déclaration des droits de l’enfant de l’ONU (1959), la société reconnaît des devoirs envers l’enfant vulnérable et les droits fondamentaux de celui-ci : être protégé dans une démarche de santé incluant les déterminants sociaux avec une préoccupation de justice. « Penser globalement. Agir socialement. », tel est le mot d’ordre du cours de pédiatrie sociale dispensé au CIE car l’enfant est envisagé comme un problème moderne. Globale, la pédiatrie sociale doit surplomber les connaissances sur l’enfance, assise sur une coordination interdisciplinaire du travail des professionnels de l’enfance, surtout pas comme sur-spécialité. La posture est novatrice. La pédiatrie sociale de Robert Debré est d’abord une construction intellectuelle se donnant pour objectif de considérer « l’enfant comme un tout » et un moyen de médicaliser les questions sociales de l’enfance, de la famille. Sa mise en orbite peut aussi être vue comme une défense de la pédiatrie en général dans un contexte de concurrence des savoirs (spécialités médicales, sciences du psychisme).
En 1969, dans la mouvance du CIE, des pédiatres francophones (français, belges, suisses) fondent le Club International de Pédiatrie Sociale qui devient en 2012, l’Association Internationale de Pédiatrie Sociale (AssIPS). Il faut dire que l’année précédente (2011), la European Society for Social Paediatrics, créée en Suède en 1977, était devenue l’International Society for Social Paediatrics and Child Health (ISSOP). On retrouve là une concurrence entre associations de praticiens francophones et d’Europe du nord qui a fait tort à l’histoire de cette approche. La pédiatrie sociale, dans sa globalité et pour la penser, nécessite l’alliance de savoirs, d’un esprit, d’une attitude, d’une éthique et du droit, pour une pédiatrie ouverte sur la personne qu’est l’enfant replacé dans son milieu de vie.
Références :
Pascale Quincy-Lefebvre (in mémoriam), « "L’enfant est un tout". Le Cours international de pédiatrie sociale dans l’histoire du CIE », dans Yves Denéchère et Patrice Marcilloux (dir.), Le Centre international de l’enfance (1949-1997). Des archives à l’histoire, PUR, 2016, p. 89-112.
Michel Manciaux, « What is social paediatrics and where does it come from? », chapitre introductif dans Bengts Lindstrom & Nick Spencer (eds), Social Paediatrics, Oxford, Oxford University Press, 1995, p. 3-11.
Pour citer cet article : Yves Denéchère, "Pédiatrie sociale" dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2020.